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Wikipédia/Découvrir Wikipédia/Explorer l'histoire

Un livre de Wikilivres.

« Really, I’m not out to destroy Microsoft. That will just be a completely unintentional side effect. » Linus Torvalds[1]

L’importance des filiations culturelles

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Par ses objectifs et son fonctionnement, le projet Wikipédia s’inscrit dans une série de filiations culturelles :

  • le concept du copyleft, inventé par Don Hopkins et popularisé par Richard Stallman de la Free Software Foundation, par lequel un auteur autorise tout utilisateur à copier, utiliser, étudier, modifier et distribuer son œuvre dans la mesure où ses conditions d’usage restent préservées, y compris dans les versions modifiées ou étendues (voir chapitre 5) ;
  • la pratique du travail collaboratif sur Internet, développé notamment chez les informaticiens par les adeptes du logiciel libre selon le modèle de Linus Torvalds ;
  • le laissez-faire comme modèle d’organisation, qui implique un égal droit de participation pour tous, sans considération sur l’âge, l’origine, ou le diplôme, en même temps qu’un minimum de règles, qui peuvent d’ailleurs être ignorées si elles nuisent au travail.

Les précurseurs

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En 1999, Richard Stallman, programmeur à l’initiative du projet GNU et fondateur de la Free Software Foundation, formulait un projet d’encyclopédie libre qui s’inspirait très largement du modèle de production des logiciels libres et qui contenaient déjà tous les ingrédients constitutifs Wikipédia[2].

Lancé début 2001, son projet, baptisé GNUpedia sera abandonné par la suite, au profit de Wikipédia. En parallèle, un autre projet d’encyclopédie en ligne, libre et gratuite, Nupedia, est lancé, en mars 2000, par Jimmy Wales. À cette époque, Jimmy Wales dirigeait une petite compagnie Internet, Bomis, fondée en 1996. L’activité de Bomis consistait en la vente de publicité sur un portail de recherche, Bomis.com, ainsi que la vente sur le réseau d’images érotiques. Par le biais de la société Bomis, Larry Sanger est engagé comme rédacteur en chef du nouveau projet Nupedia. L’ambition initiale de Nupedia était de rédiger une encyclopédie selon un protocole tout à fait traditionnel, avec un comité éditorial et à l’aide d’experts. Éclatement de la bulle internet et restrictions budgétaires obligent, Wales fait appel à des bénévoles.

La croissance de Nupedia se révéla très lente. En janvier 2001, à cause de la frustration occasionnée par cette lenteur de progression, Larry Sanger proposa alors à Jimmy Wales d’allier le potentiel du format wiki à la mise en place d’une encyclopédie plus souple, ce qui donna lieu à la création de Wikipédia quelques jours plus tard.

Wikipédia est ainsi née presque par hasard, comme brouillon de Nupedia. Dans les faits, Wikipédia a immédiatement abouti à la production de centaines d’articles. De son côté, Nupedia a continué à vivoter, puis a été abandonné à l’automne 2002 alors que 24 articles étaient parvenus au terme du processus formel de validation. De l’avis de Sanger, ce sont les difficultés rencontrées pour trouver des auteurs bénévoles ainsi que la lourdeur de la chaîne éditoriale qui ont eu raison de Nupedia.

Sous la houlette de Larry Sanger

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Le projet Wikipédia fut démarré en anglais en janvier 2001, mais d’autres versions linguistiques ont rapidement vu le jour. La Wikipédia en français, première version de Wikipédia dans une autre langue que l’anglais, fut officiellement fondée le 23 mars 2001, suivie par la version en allemand, puis par environ 250 autres. Dès la création de Wikipédia, Larry Sanger travailla en parallèle à Nupedia et à Wikipédia pour laquelle il participa à l’élaboration de la plupart des règles de fonctionnement et principes fondateurs (en particulier le NPOV qui sera expliqué dans le chapitre 4). Suite à la suppression en février 2002 du budget de Bomis alloué à la rétribution de son travail pour Nupedia et Wikipédia, Larry Sanger démissionna officiellement le 1er mars 2002 de son titre d’éditeur en chef de Nupedia et de ses fonctions d’organisateur en chef de Wikipédia. Nupedia fut définitivement fermée le 26 septembre 2003 tandis que Wikipédia, elle, continuait son expansion.

Une gouvernance communautaire

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Dès lors, le projet Wikipédia opéra par consensus, utilisant les règles et recommandations adaptées au cours du temps par les contributeurs. Si les différentes versions linguistiques respectent les principes fondateurs (voir chapitre 4), chacune a développé ses règles propres, en fonction de sa communauté, de la ou des cultures dominantes et de ses besoins propres. Ainsi, la version anglaise fut très largement gérée comme une monarchie pendant les premières années, en raison de l’implication quotidienne de Jimmy Wales, parfois appelé GodKing ou BenevolentDictator. Lors de la création du comité d’arbitrage, c’est Jimmy Wales qui nomma les membres du comité, et en 2008, il possédait toujours un rôle un peu particulier sur la version anglophone en dépit d’une présence beaucoup plus erratique.

En comparaison, la version française s’est formée autour d’un noyau dur d’une petite dizaine de personnes début 2002, et s’est développée selon un modèle beaucoup plus démocratique. La communauté francophone a rapidement délégué certaines décisions, par exemple en créant très tôt un comité d’arbitrage dont les membres sont élus par les participants.

Au cours des années, différents modes de gouvernance se sont succédé et mêlés. Wikipédia est parfois mentionné comme étant une anarchie complète (souvent par ses détracteurs) ou au contraire comme un merveilleux exemple de démocratie participative. La réalité est plus complexe. S’il est exact de dire qu’une partie du fonctionnement de Wikipédia relève de l’anarchie ou de la démocratie, il est aussi possible de trouver des éléments de despotisme (dans la personne de Jimmy Wales), de méritocratie (les contributeurs fournissant un travail de qualité gagnent le respect de leurs pairs et ont souvent une influence accrue), et d’habitude ou de précédent (on ne modifie pas facilement ce qui a fonctionné jusqu’alors, même si cette habitude n’est pas décrite explicitement, ce qui rend l’intégration des nouveaux venus d’autant plus difficile). Jusque dans les années 2003-2004, l’influence des développeurs se faisait aussi largement sentir, établissant de facto un système largement technocratique.

La création de la Foundation

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Dans les premières années qui ont suivi la création de Wikipédia, les frais de fonctionnement étaient pris en charge par la société Bomis. Les frais occasionnés à cette époque étaient essentiellement le salaire de Larry Sanger (jusqu’au début 2002), l’hébergement du site web et le nom de domaine www.wikipedia.org. Au fil des années, avec l’augmentation du nombre d’articles, de participants et de visiteurs, le site Wikipédia a du être transféré sur un serveur dédié (en 2002), puis il a été nécessaire d’acheter plusieurs serveurs (à partir de 2003). Les premiers serveurs ont été financés par les wikipédiens eux-mêmes lors de la première levée de fonds, en décembre 2003. C’est à cette époque que Jimmy Wales a imaginé créer une fondation caritative (la Wikimedia Foundation) qui deviendrait propriétaire des serveurs, des noms de domaine et noms de marque, et qui pourrait recevoir les dons des internautes nécessaires au fonctionnement du projet. À cette même époque, des internautes allemands ont décidé de créer une association locale en Allemagne (Wikimedia Deutschland) afin de fournir une structure officielle aux participants allemands souhaitant agir au-delà de la rédaction d’articles. Depuis lors, une douzaine d’associations locales ont été créées, et la Foundation s’est considérablement développée.

Le développement d'une approche mondiale

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Jusque dans les années 2004-2005, les projets des communautés non anglophones étaient appelés Wikipédia internationales, pour mettre l’accent sur la différence entre la vraie Wikipédia (en anglais) et les autres. En 2002, l’essentiel des décisions ayant une influence globale étaient prises par la communauté anglophone ou par Jimmy Wales. Les Wikipédias internationales étaient hébergées sur une version logicielle plus ancienne, sans liens avec la version anglaise. Une certaine tension existait entre la communauté principale et les communautés internationales émergentes. C’est ainsi qu’au printemps 2002, la communauté espagnole a décidé de forker (c’est-à-dire créer un projet parallèle et d’abandonner le projet Wikipédia) suite à des rumeurs non confirmées de mise en place de publicité sur le site Wikipédia. Suite à ce fork, la version espagnole de Wikipédia est restée dormante pendant de long mois et accuse, encore aujourd’hui, un retard par rapport aux versions allemandes et françaises, et ce en dépit d’un nombre élevé de locuteurs.

Comme autre exemple de tensions et de tendances séparatistes, on peut citer la décision de la communauté francophone, pendant l’été 2002, d’adopter un nouveau logo (un disque vert pomme agrémenté d’une colombe blanche) radicalement différent du logo commun, représentant à l’époque une sphère agrémentée d’un texte en anglais.

C’est à la suite de ces deux événements qu’une véritable prise de conscience a eu lieu sur la nécessité d’accueillir et d’impliquer les versions non-anglophones et de présenter une approche globalisée. Ainsi :

  • fin 2002, le logiciel MediaWiki proposait les liens entre versions linguistiques d’un article (dits liens interwiki) ;
  • fin 2003, lors de la création de la Wikimedia Foundation, Jimmy Wales exprimait son souhait de voir deux membres de la communauté globale faire partie du conseil d’administration de la Wikimedia Foundation ;
  • et pendant l’été 2003, un concours de réalisation du logo de Wikipédia était mis en place sur un site commun à toutes les versions linguistiques, meta (voir chapitre 6). Le logo choisi utilise des caractères empruntés à de multiples langages, afin de mieux mettre en évidence l’aspect international du projet.



  1. Peut se traduire librement par « Vraiment, mon but n’est pas de détruire Microsoft. Cela ne sera qu'un effet de bord non-intentionnel. » Linus Torvalds est celui qui a donné son nom à Linux.
  2. Stallman R., The Free Universal Encyclopaedia and Learning Resource. Free Software Foundation, 1999. http://www.gnu.org/encyclopedia/free-encyclopedia.html.