Vol balistique et missiles balistiques/Comportements en vol
Le comportement de l'arme sur sa trajectoire diffère selon la technicité plus ou moins avancée de l'arme et du missile balistique qui la lance.
Les armes ont débuté avec un explosif classique qui va devenir majoritairement nucléaire : bombes A puis bombes H, ce qui les rend plus compactes. On peut ainsi en mettre plusieurs sur un même missile balistique.
Le missile balistique, d’abord d’un seul bloc, comportera ensuite un à plusieurs étages. L’arme s’en sépare progressivement lors de son lancement, pendant la phase propulsée.
Le premier missile balistique, le V2, a lancé un arme... en y restant solidaire. C'était un missile balistique monobloc qui, sa propulsion terminée, continuait en parcours balistique en tant qu’arme, liée à elle de façon indissociable. La trajectoire présente de sérieuses particularités qui ont complexifié le travail des pionniers et conduit très vite leurs successeurs à dissocier l’arme du missile à son lancement.
Il existe toujours des missiles balistiques monobloc bien connus sons le nom de Scud[note 1]. Ceux qui en disposent, dès qu’ils en ont la capacité, le transforment en un engin mono-étage dont l'arme se sépare (grossièrement) ce qui en améliore l’efficacité.
Les trajectoires des armes deviennent pleinement balistiques avec les engins bi-étages lançant une arme nucléaire de première génération — une bombe A, donc assez grosse. Sa rentrée atmosphérique présente quelques difficultés à résoudre. Aussi est-elle associée à un important bouclier thermique.
Améliorer la situation de l’arme lors de la rentrée atmosphérique sera atteint avec des armes plus petites (bombes H) et une modalité très particulière de lancement par le dernier étage du missile balistique qui va placer l’arme dans l’espace — juste avant de la séparer — selon son axe de rentrée dans l’atmosphère.
Le missile balistique devient alors un engin abouti, en vitesse (sa portée est devenue intercontinentale) et en mode de rentrée de l’arme (arme pré-pointée) qui le rend imparable. Les modifications ultérieures à lui apporter deviendront secondaires (amélioration de la maintenance, de la précision, de la masse, etc., ou encore lutte contre d'éventuelles avancées de la défense) par rapport à la capacité militaire définitivement acquise.
Ainsi, certains pays ajoutent encore une complexité à leur vol en le faisant débuter sous la mer.
Types d'armes
[modifier | modifier le wikicode](armes en violet dans le schéma ci-dessous)
Les premiers missiles balistiques, tel le V2 et ses successeurs immédiats (les Scuds) font corps avec leur arme, une charge d’explosif classique ou toute autre arme non nucléaire (figure 1).
La génération suivante (figure 2) requiert des savoirs-faire nouveaux, notamment la séparation des étages et de l’arme . Celle-ci devient nucléaire. Encore rustique (fission, bombe A) elle est grosse. On la protège par un corps de rentrée muni d’ailettes. Elles permettent une stabilisation rapide lors de la rentrée dans l’atmosphère nécessaire pour résister à de déjà hautes températures conséquence de vitesses élevées, et donc de portées plus grandes permises par la structure quand elle comporte deux étages. Calculé pour supporter les effets à la rentrée dans l’atmosphère, il sert aussi à protéger les étages du missile balistique en début de trajectoire propulsée, là où l’air est encore dense.
Dans la dernière génération, les armes sont extrêmement élaborées (bombe H), et peuvent devenir plus petites donc plus légères. Les étages au nombre de trois (généralement) sont de plus gros diamètres car on sait couler de très gros blocs de poudre propulsive dans des enveloppes qui sont, aussi, bien plus légères (carbone) que celles des générations précédentes (acier).
Comportements balistiques
[modifier | modifier le wikicode]Armes à vitesse faible, engin monobloc
[modifier | modifier le wikicode]Un missile balistique monobloc délivre une vitesse encore faible (autour de 1 km/s à 2 km/s) à une arme qui fait corps avec le missile balistique soit parce que l'intérêt de séparer n'existe pas encore (V2) soit qu'il est compris mais que l'on cherche a utiliser ou exporter une arme rustique (Scud).
Dans le cas du V2 à ses débuts (ci-contre, figure 1) l’altitude atteinte aux premiers lancements est proche de la limite généralement adoptée pour l’atmosphère, soit environ 120 km. À cette altitude les molécules d’air sont très rares. Leur faible effet est pourtant suffisant pour agir sur les ailerons[note 2], initialement placés au bas du V2 pour le stabiliser dans les premières secondes après la mise à feu. L’axe du missile balistique vide et qui ne propulse plus est rapidement affecté par l’écoulement de l’air sur les ailerons, ce qui le « rapproche » de la trajectoire dont l’apogée est d’ailleurs proche de l’altitude de lancement.
Très vite les V2 ont gagné en portée et donc en vitesse (figure 2).
Le parcours balistique devient plus important et l’axe du V2 reste fixe par rapport au ciel[note 3]. Mal orienté à l’arrivée dans l’atmosphère, le missile balistique se casse en morceaux (figure 2). Des études en soufflerie ont permis de corriger la faiblesse des structures en les renforçant au prix d'un alourdissement.
On peut agir différemment en séparant l'arme dotée de sa propre capacité à exploser. La destruction du missile balistique mono-étage sera sans importance. Ainsi la première modification apportée à la première génération mono-étage a-t-elle été la séparation de l'arme dans des conditions techniquement simples et imparfaites, mais suffisantes pour assurer son explosion (ci-dessous, figure 1).
Armes à vitesse moyenne, engin bi-étage
[modifier | modifier le wikicode]La génération suivante (figure 2) comporte deux étages et un arme séparée, lancée à une vitesse bien plus grande (environ 4 à 5 km/s).
À ces vitesses, combattre l'échauffement à la rentrée devient une difficulté technique d'importance. Séparer l'arme en fin de propulsion du missile balistique devient une obligation tandis qu'elle doit être protégée par un corps de rentrée étudié pour remplir le rôle essentiel de bouclier thermique. L’axe de symétrie du bouclier, fixe dans l’espace depuis la séparation[note 4], doit venir rapidement se pointer en direction du sol pour qu'il soit correctement efficace. C'est la fonction des ailerons dont il est muni.
Ces ailerons sont bien visibles sur la photographie du missile balistique indien Agni II ci-contre. Le mouvement de basculement permis par ces ailerons fera prendre rapidement une direction telle que la pointe du bouclier thermique (en rouge sur la photographie) sera rapidement la plus efficace possible (flux de chaleur de quelques milliers de degrés[note 5]).
Armes à grande vitesse, engin tri-étage
[modifier | modifier le wikicode]Ces armes ont une triple caractéristique :
- elles sont lancées par un missile balistique de trois ou quatre étages d’un grand diamètre rendu possible par un savoir-faire permettant de réaliser de très gros blocs de poudre. Cette poudre, mélange de comburant et de combustible, fournit une capacité propulsive de beaucoup supérieure aux générations des poudres précédentes. Des vitesses supérieurs à 7 km/s sont atteintes avec une capacité d’emport importante ;
- elles sont nombreuses pour un même missile balistique, rarement uniques (ci-contre un plateau portant trois armes);
- elles sont "pré-pointées" - juste avant le lancement - dans une direction optimale qui va assurer une très bonne rentrée atmosphérique.
armes multiples
[modifier | modifier le wikicode]La puissance propulsive, énorme, permet de lancer plusieurs armes, chacune protégée des violents chocs thermiques à la rentrée par un bouclier conique qui lui est propre. On les dispose sur un plateau. Cette disposition ne permet pas un écoulement de l’air correct au début de la phase propulsée où la vitesse devient grande dans un air encore dense. Aussi le plateau est-il recouvert d’une coiffe. Il est aussi doté d’une propulsion et de petites tuyères. L’objectif n’est pas d’aller encore plus vite. Il est de se mouvoir autour du centre de gravité pour lancer les armes dans une position qui va faciliter leur rentrée dans l’atmosphère.
Lancées successivement de façon indépendante, elles peuvent ainsi être dispersées sur l’objectif retenu en provoquant un effet destructeur très supérieur à ce que ferait une arme unique. Toutes ces armes sont aujourd’hui nucléaires. La forme conique du bouclier a pour objectif d’être le moins freiné possible à la rentrée dans l'atmosphère pour y conserver une vitesse élevée rendant impossible l’interception.
Le corps du cône est revêtu d’un matériau de protection thermique qui se transforme en se détruisant progressivement tout en absorbant une très grande quantité de chaleur. Il diminue donc d’épaisseur pendant la rentrée, laquelle est calculée pour qu’il en reste quelques millimètres avant l’explosion, l’objectif étant de ne pas en mettre trop pour ne pas l’alourdir inutilement. La chaleur sera très forte à l’intérieur. Les équipements, notamment électroniques, sont prévus pour y résister.
pré-pointage
[modifier | modifier le wikicode]Le bon positionnement d’une arme dans l’espace fait appel à la notion d’inertie. Une notion simple dont la compréhension est essentielle pour apprécier l’évolution des armes et des missiles balistiques.
Le principe d'inertie a pour conséquence, dans l'espace, qu'un objet garde une direction fixe par rapport aux étoiles quel que soit le mouvement de son centre de gravité.
Dans une expérience de pensée (figure 1) un javelot lancé depuis la Terre dans l’espace pointera toujours dans la même direction du ciel tandis que la trajectoire de son centre de gravité parcourt une ellipse.
On voit qu'à la rentrée dans l'atmosphère il ne pointera pas vers le centre de la Terre.
L’arme nucléaire aboutie est insérée dans un cône de protection dont l'axe de symétrie conserve de la même façon une direction fixe. On attend de ce cône (appelé ogive) qu'il pénètre dans l'atmosphère dirigé vers le sol afin d'y être le moins freiné possible à la rentrée en conservant encore une très grande vitesse au moment de l'explosion.
Il faut donc le pré-pointer (figure 2).
C'est un mouvement complexe dont la connaissance et la réalisation ne s'acquièrent que progressivement. Tous les missiles balistiques aboutis, dits intercontinentaux ou de très longue portée sont munis d'un plateau propulsé qui place l'arme (ou les armes) sur une (ou des) ellipse(s) successive(s), chacune associées à un objectif selon une position dans l'espace convenablement calculée.
Toutes les armes des missiles balistiques de dernière génération sont caractérisés par les chiffres (très) arrondis qui suivent, utilisés ici pour une présentation à caractère mnémotechnique:
- 3 secondes : le temps parcours sous la mer si le tir est fait par un sous-marin ;
- 3 minutes : le temps de parcours propulsé du missile balistique à la fin duquel les armes sont lancées dans l’espace ;
- 30 minutes : le temps de parcours des armes dans l’espace, du lancement jusqu’à l’arrivée dans l’atmosphère ;
- 300 km : l’altitude du lancement dans l'espace (en réalité autour de 500 km, à peu près celle de la station spatiale internationale(400 km)). Le missile balistique, déjà successivement séparé de ses étages, est alors définitivement désintégré ;
- 3 000 km : l’altitude de l’apogée de la trajectoire elliptique des armes qui se sont donc d’abord éloignées de la Terre conformément à la mathématique de l’ellipse. C’est environ la moitié du rayon de la Terre. Elles sont bien dans l’espace (le chiffre réel est probablement plus près de 2 000 km que de 3 000 km);
- 30 000 km/h : la vitesse des armes à leur rentrée dans l’atmosphère (le chiffre plus exact est autour de 25 200 km/h soit 7 km/s, soit encore environ Mach 20 ) ;
- 10 000 km : la portée la plus longue raisonnablement accessible (mais on peut encore aller un peu plus loin) ;
- 10 secondes : le temps de traverser l’atmosphère ;
- Mach 10 : la vitesse des armes à l’explosion après avoir été freinées comme les météorites (elles sont passées de Mach 20 à Mach 10 ), avec la même trajectoire lumineuse d’étoile filante due à l’échauffement à plusieurs milliers de degrés de leurs boucliers thermiques.
Trajectoire sous-marine
[modifier | modifier le wikicode]Construire un missile balistique est complexe. Le lancer sous l’eau ajoute encore une autre complexité. C'est un problème technique qui a plusieurs solutions. On en présente une à titre d'exemple.
Le missile balistique attend sur son pas de tir qui est l'un des tubes verticaux placés au centre du sous-marin (repère a, sur le schéma du sous-marin).
Le tube est grossi à droite du schéma. Il est obturé par un membrane en caoutchouc, prédécoupée pour être convenablement déchirée par le missile balistique quand il sortira du tube. Une porte étanche vient fermer, par dessus. Elle est résistante à la pression de la mer. Le missile balistique est en position d'attente (figure a, en bas et à gauche du schéma).
Avant le lancement: on met en pression en même temps (figure b1) :
- avec un gaz neutre la partie du tube située sous la membrane (et donc aussi le missile balistique) ;
- avec l’eau de la mer, la partie supérieure de la membrane.
Ces deux pressions (schéma b) sont calculées pour être égales et correspondent à la pression de la mer à l’immersion où se situe le sous-marin. La membrane est donc équilibrée (pression de la mer au dessus, pression de gaz égale en dessous). Elle interdit à l’eau de mer d’envahir le missile.
La porte qui est devenue équilibrée, au sens où la pression de la mer est la même au-dessus et au dessous, peut être ouverte (figure b2).
Quand le lancement est ordonné, le générateur de gaz s'allume. Il génère une pression de gaz qui propulse le missile balistique vers le haut. Celui-ci monte, déchire la membrane puis quitte le tube et va vers la surface.
La mise à feu du premier étage se fait sous la mer après avoir vérifié que la tuyère débat correctement et, surtout, que le missile balistique s’est suffisamment éloigné du sous-marin, ce que calcule sa centrale à inertie. L'intérêt de mettre à feu au plus tôt est de donner au missile balistique un capacité de manœuvre pour corriger un défaut de verticalité qui apparaît vers la fin du parcours sous-marin [note 6].
L’immersion du sous-marin au moment du tir a été définie par deux contraintes :
- tiré verticalement, le missile balistique subit de plein fouet l’écoulement transversal de l’eau le long du sous-marin (schéma ci-contre). Pour que l'écoulement soit le plus faible possible le sous-marin doit avoir une vitesse presque nulle. Or un sous-marin à vitesse très faible se pilote difficilement. D’autant plus difficilement qu’il est proche de la surface où les effets de la houle sont perturbateurs et importants. Le sous marin a donc intérêt à naviguer à une immersion la plus éloignée possible de la surface de la mer ;
- mais plus il est tiré loin de la surface, plus le missile balistique dont la vitesse verticale est faible même avec un générateur de gaz très puissant est perturbé dans son parcours sous marin. L’écoulement de l’eau, même très faible, commence à le faire pencher. Sous l’effet de la houle il perd son équilibre et va sortir de l’eau avec une forte inclinaison. La missile balistique gagne à être tiré au plus près de la surface.
L'architecte naval décidera devant ces deux souhaits contradictoires quelle sera l'immersion de lancement.
Corriger l'inclinaison assez inévitablement prise par le missile balistique à sa sortie de l'eau doit se faire dès que possible.
Dès l'allumage du premier étage il faudra provoquer un redressement avec un plus ou moins grand débattement de sa tuyère.
La consommation de propergol pour redresser le missile balistique sera utilisée au détriment de la portée.
On souhaite donc que cette consommation regrettable ne soit pas trop grande. Donc que le redressement ne soit pas trop important. Donc encore que le missile balistique sorte de l'eau le plus verticalement possible.
Pour autant beaucoup de photographies montrent que ce n'est pas chose facile.
Notes
[modifier | modifier le wikicode]- ↑ La série des missiles Scud a été développée par l'Union Soviétique dans les années 1950. En particulier, il fut le premier missile balistique à être tiré depuis un sous-marin, en 1955.
- ↑ On ne sait pas encore faire tourner la tuyère. Les dispositifs mis en place dans cette tuyère pour dévier le jet de gaz et donc piloter la missile balistique sont de peu d’efficacité et insuffisants pour satisfaire les corrections sévères qui s’imposent alors que la vitesse est très faible au départ du sol. Aussi de grands ailerons utilisent leur déplacement dans l’air pour stabiliser à la verticale. Ces ailerons disparaissent avec les progrès techniques des générations successives de missile balistique.
- ↑ Conformément à la loi de l'inertie développée plus loin au paragraphe "pré-pointage"
- ↑ Idem note précédente
- ↑ On observe que la séparation des deux étages se fait par des boulons explosifs placés sur un treillis métallique visible entre les deux étages sur la photographie de l'Agni II. La séparation par cordeau détonnant inséré dans une virole qui lie de très près les étages, disposition prise sur les générations suivantes, est beaucoup plus difficile à réaliser. Elle s’impose dans le cas du sous-marin où l’on cherche à placer le maximum de propergol dans les étages d’un missile de longueur contrainte par la dimension de la coque. Or le treillis implique un espace vide, donc une perte de portée à longueur égale.
- ↑ Pour aller encore plus loin, les missiles américains utilisent un propergol (la Nitralane) dont la probabilité — extrêmement faible mais non nulle — qu’il explose l’a fait interdire en France. Aussi leurs missiles balistiques ne s’allument-ils pas sous l’eau car une explosion à ce moment là détruirait le sous-marin. Conséquence : ils sortent de l’eau assez couchés et utilisent une importante quantité de propergol à la seule fin de se redresser [1], une quantité qui ne servira pas à augmenter la vitesse et donc la portée. Mais la Nitralane étant particulièrement énergétique, ils peuvent se permettre d’en « perdre » un peu. Ce qui n’est pas le cas de la France dont le propergol est un peu moins énergétique. Voilà deux réponses différentes à un même problème (aller le plus vite possible) de la part des ingénieurs français et américains.