Utilisateur:Thierry Dugnolle/Premiers principes
Qu'est-ce que c'est qu'être ?
La métaphysique est la science de l'être en tant qu'être (Aristote, Métaphysique), ou la science de l'être, tout court. Elle enseigne les vérités les plus générales, les vérités sur tous les êtres, donc les vérité sur l'être. L'être d'un individu est d'avoir des propriétés et des relations Un être a toujours des propriétés et des relations. Un être qui n'aurait ni propriétés, ni relations, ne serait rien, il ne pourrait pas être. Être, c'est toujours avoir des propriétés et des relations, ou être une propriété ou une relation.
Un concept est une propriété ou une relation. Une propriété, ou une qualité ou un trait, est attribuée à un être. Une relation est entre plusieurs êtres. Lorsqu'une relation est entre deux êtres, on peut considérer qu'elle est une propriété du couple. Une relation entre trois êtres est une propriété du triplet, et ainsi de suite pour les relations entre davantage d'êtres.
Les concepts sont des êtres. Eux aussi ont des propriétés et des relations. Les individus au sens strict sont les êtres qui ne sont pas des concepts. On leur attribue des propriétés et des relations mais ils ne peuvent pas être attribués. Les individus au sens large sont tous les êtres, y compris les concepts. Tout l'être d'un individu (au sens strict) est d'avoir des propriétés et des relations. L'être d'un concept est d'être attribué à des êtres et d'avoir des propriétés et des relations.
Un individu révèle l'universel
« La Forme se retrouve une et identique en même temps en plusieurs endroits. C'est comme si tu étendais un voile sur plusieurs êtres humains et que tu disais « Le voile reste un en sa totalité, lorsqu'il est étendu sur plusieurs choses. » (Platon, Parménide, 131b, traduit par Luc Brisson)
Les propriétés et les relations sont des universels. Une même propriété peut être partagée par de nombreux individus, elle n'est pas la propriété exclusive d'un seul individu. Une relation binaire peut être vraie de nombreux couples d'individus. De même pour les autres relations. Les propriétés, les relations et les conjonctions de propriétés et de relations sont des possibilités universelles.
Les énoncés les plus élémentaires attribuent une propriété à un individu ou mettent en relation plusieurs individus. Ils affirment donc toujours qu'un individu révèle l'universel, ou que plusieurs individus ensemble le révèlent. L'attribution de l'universel aux individus est la forme fondamentale de la pensée. La pensée est fondamentalement la révélation que les individus révèlent l'universel.
Les individus et la liaison entre les concepts
On peut percevoir simultanément la chaleur et la douleur de deux façons très différentes. Dans le premier cas, ce qui est chaud est ce qui fait mal, la chaleur et la douleur sont liées. Dans le second cas, ce qui est chaud n’est pas ce qui fait mal, la chaleur et la douleur ne sont pas liées. Dans le premier cas, on suppose qu’il y a un individu qui lie deux propriétés, d’être chaud et de faire mal. Dans le second cas, on suppose qu’il y a deux individus, l’un qui est chaud et ne fait pas mal, l’autre qui fait mal et n’est pas chaud. Les liaisons entre les concepts (Quine 1992) sont déterminées par des individus, parce que l'être d'un individu est une conjonction de concepts.
Qu'est-ce que la vérité ?
On ne peut rien affirmer sans affirmer en même temps sa vérité. « Il est vrai que la neige est blanche si et seulement si la neige est blanche. » (Tarski 1933)
Les êtres, leurs propriétés et leurs relations peuvent être nommés. On dit la vérité en nommant des êtres, des propriétés et des relations et en attribuant ces propriétés et ces relations aux êtres qui les ont. On dit la vérité en disant des êtres ce qu'ils sont.
Tous les êtres, toutes les propriétés et toutes les relations peuvent être nommés. Tout peut être dit. Rien ne peut échapper à la vérité. La vérité est aussi grande que l'être. C'est un principe de panlogisme. Puisque l'être et la vérité sont coextensifs, la métaphysique peut être définie comme la science de la vérité. Elle enseigne les vérités sur toutes les vérités, donc la vérité sur la vérité.
Une affirmation est un énoncé qui peut être élémentaire ou composé. Un énoncé élémentaire attribue une propriété à un être ou une relation à plusieurs êtres.
Un énoncé élémentaire est vrai si et seulement si il attribue une propriété ou une relation aux êtres qui les ont. Les énoncés composés sont obtenus à partir des énoncés élémentaires avec des connecteurs logiques (la négation, la disjonction, la conjonction, le conditionnel, ...). Leur vérité est déterminée à partir de la vérité des énoncés élémentaires qui les constituent.
N'importe quelle vérité dit d'un monde qu'elle y est vraie, elle dit donc d'un monde ce qu'il est. En disant de la vérité qu'elle est de dire des êtres ce qu'ils sont, on dit ce qu'elle est, on dit donc la vérité sur la vérité.
Qu'est-ce qu'être possible ?
Être possible, c'est être permis par les lois. Un système de lois détermine un espace de possibilités, l'espace de tout ce qu'elles permettent. Il y a autant de formes de possibilité qu'il y a de systèmes de lois. La possibilité logique est l'absolue possibilité. Sa loi fondamentale est la cohérence, c'est à dire l'absence de contradiction. Les lois de la Nature définissent la possibilité naturelle. Les lois éthiques définissent la possibilité éthique. Être éthiquement impossible, c'est être interdit par des lois éthiques.
Les mondes logiquement possibles
Un concept est fondamental lorsqu'il n'est pas défini à partir de concepts plus fondamentaux. Un fait atomique est l’attribution d’une propriété fondamentale à un individu ou d’une relation fondamentale à plusieurs individus. Un monde est un ensemble de faits atomiques. Un fait atomique peut être désigné par un énoncé atomique. On forme un énoncé atomique en associant le nom d’une propriété fondamentale au nom de l’être auquel elle est attribuée, ou le nom d’une relation fondamentale aux noms des êtres qu’elle relie. Un énoncé atomique est vrai d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde. Un ensemble d’énoncés atomiques n’est jamais contradictoire, parce que les énoncés atomiques ne contiennent pas de négation. N'importe quel ensemble d'énoncés atomiques détermine donc toujours un monde logiquement possible. Un monde logiquement possible est absolument possible. C'est une possibilité éternelle parce qu'elle ne dépend d'aucune condition. A partir des énoncés atomiques, on peut construire des énoncés composés avec les connecteurs logiques et formuler ainsi tous les énoncés sur un monde. La vérité des énoncés ainsi composés est complètement déterminée par celle des énoncés composants, donc finalement par la vérité des énoncés atomiques. Un monde est complètement déterminé par les faits atomiques qui le constituent. Un énoncé est logiquement possible si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde. Un monde est aussi appelé un modèle, ou une structure. Par exemple, l’ensemble des énoncés suivants définit le monde, ou la structure, des nombres naturels : 1 suit 0, 2 suit 1, 3 suit 2… Il faut entendre que cet ensemble contient toutes les vérités atomiques formées avec les noms des nombres naturels et la relation de succession. Un énoncé atomique qui n’est pas dans cet ensemble est par conséquent faux. L'être d'un individu d'un monde est déterminé par toutes ses propriétés et ses relations avec les autres individus du même monde. L'être d'un monde est déterminé par l'être de tous les individus de ce monde, donc finalement par tous les faits atomiques qui le constituent. Les propriétés et les relations d'un individu du monde sont tout son être dans le monde. Tout l'être d'un être du monde est son être dans le monde. Puisque tout l'être d'un individu du monde fait partie d'une possibilité éternelle, il est une possibilité éternelle. Même un individu transitoire, qui naît, vit et meurt, révèle par toute son existence une possibilité éternelle. Les mathématiques sont la science de tous les mondes logiquement possibles. On peut aussi les appeler la science de tous les modèles, ou de toutes les structures, ou de tous les mondes. Remarques : Le principe qu’un monde est un ensemble, ou une totalité, de faits atomiques est emprunté au Tractatus logico-philosophus de Ludwig Wittgenstein. Mais les définitions ici adoptées d’un fait et d’un énoncé atomiques ne sont pas dans le Tractatus. Elles viennent de la logique du premier ordre. Le principe qu’un énoncé atomique est vrai d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde est emprunté à Alfred Tarski et à la théorie des modèles. Dans le langage de la théorie des modèles, un monde est un modèle (Keisler 1977). David Lewis craint qu'il y ait une circularité dans la définition du concept de possibilité logique, parce qu'un monde est logiquement possible lorsqu'il est impossible que sa définition implique une contradiction (Lewis 1986). En définissant un monde logiquement possible à partir d'un ensemble d'énoncés atomiques, on évite ce problème de circularité. La définition d'un monde logiquement possible ne peut pas être contradictoire parce que les énoncés atomiques ne contiennent jamais de négation. S'il n'y a pas de négation, il ne peut pas y avoir de contradiction. Les mondes naturellement possibles Les mondes naturellement possibles sont les mondes tels que les lois de la Nature y sont vraies. On fait une théorie de la Nature en postulant des lois fondamentales de la Nature. Un monde naturellement possible est un modèle d’une théorie de la Nature pourvu que les lois postulées soient vraies. Si les lois de la Nature sont formulées avec un système d'équations différentielles, les mondes naturellement possibles sont les solutions du système. Les mouvements des planètes par exemple sont naturellement possibles parce qu'ils sont des solutions des équations différentielles de la physique newtonienne. Nos modèles de la réalité observée ne sont jamais des modèles exacts. Leur vérité empirique, c'est à dire leur accord avec les observations, dépend toujours d'approximations. L'accord entre les modèles théoriques et la réalité observée doit être suffisamment bon pour qu'on puisse dire de nos modèles qu'ils sont des mondes naturellement possibles, et de nos lois qu'elles sont des lois de la Nature, mais il n'est pas nécessaire que la correspondance entre les modèles et la réalité soit exacte. Un énoncé est naturellement possible si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde naturellement possible.
Qu'est-ce que la nécessité ?
Nécessité et possibilité sont des concepts complémentaires : Un énoncé est nécessaire si et seulement si sa négation n'est pas possible. Un énoncé est possible si et seulement si sa négation n'est pas nécessaire. Un énoncé est nécessaire si et seulement s'il est vrai de tous les mondes possibles. "Tous les mondes possibles" ci-dessus et ci-dessous veut dire "tous les mondes possibles définis avec les concepts de l'énoncé". Les lois sont nécessaires, parce qu'elles sont vraies de tous les mondes possibles, puisqu'être possible c'est être permis par les lois. Un énoncé est impossible si et seulement s'il est faux de tous les mondes possibles. Un énoncé est contingent si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde possible et faux d'un autre. Tout ce qui est nécessaire est possible mais l'inverse n'est pas toujours vrai. Un énoncé est contingent si et seulement s'il est possible et si sa négation est possible. Un énoncé contingent est possible sans être nécessaire. Les vérités mathématiques ne sont jamais contingentes, elles sont toujours nécessairement vraies et c'est une absolue nécessité, la nécessité logique. En revanche les vérités sur les événements de notre monde sont en général contingentes. Ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver. Les lois de la Nature ne déterminent pas tout ce qui se passe, loin de là. A elles seules, elles ne suffisent pas pour déduire l'existence du moindre évènement. Les lois logiques sont les énoncés logiquement nécessaires. Le principe qu'un monde est un ensemble de faits atomiques permet de trouver toutes les lois logiques, parce qu'il permet de définir la possibilité et la nécessité logiques. Une conjonction d'énoncés atomiques est toujours logiquement possible et contingente. Une contradiction (p et non p) est toujours logiquement impossible. La loi du tiers exclu (p ou non p) est logiquement nécessaire. La nécessité logique est absolue, sans conditions. La vérité des lois logiques ne dépend d'aucune hypothèse. La conclusion d'un raisonnement peut ne dépendre d'aucune prémisse, parce qu'on peut supprimer la dépendance vis à vis des prémisses au cours du raisonnement. Par exemple, si on a tiré la conclusion B à partir de l'unique prémisse A, on peut ajouter comme nouvelle conclusion (si A alors B). Cette nouvelle conclusion ne dépend pas de la prémisse A. Elle est donc sans hypothèse. Les lois logiques sont les conclusions des raisonnements qui ne dépendent d'aucune hypothèse. Un énoncé est naturellement nécessaire si et seulement s'il est vrai de tous les mondes naturellement possibles. Une énoncé est naturellement nécessaire si et et seulement s'il est une conséquence logique des lois fondamentales de la Nature. La nécessité naturelle est relative, conditionnée par la vérité des lois fondamentales de la Nature.
Qu'est-ce qu'un concept ?
Un concept est une propriété ou une relation. Sa façon d'être un concept est d'être attribué. Les concepts (les propriétés et les relations) sont les significations des mots et des expressions qui nomment des concepts. Par exemple la propriété d'être un arbre est la signification du mot arbre. Sans les concepts nos paroles ne pourraient pas avoir de signification. Pour que la vérité d'un énoncé soit déterminée il faut que sa signification soit déterminée. Un même énoncé peut être tantôt vrai, tantôt faux, selon les diverses façons de l'interpréter. On ne peut rien savoir tant qu'on n'a pas déterminé clairement les concepts qu'on emploie. Pour produire la vérité il faut s'en donner les moyens, il faut avoir déterminé clairement les concepts. Comment les concepts sont-ils définis, ou déterminés ? L'être d'un concept est déterminé seulement si toutes ses possibilités d'attribution sont déterminées. On connaît un concept quand on sait l'attribuer. Pour que l'attribution d'un concept soit vraie, il faut qu'il y ait des lois qui déterminent cette attribution. L'attribution des concepts observés est déterminée par les lois de l'observation. L'attribution des concepts d'une théorie est déterminée par les lois fondamentales de cette théorie. S'il n'y avait pas de lois, il n'y aurait pas de vérité des attributions, il n'y aurait donc pas de concepts. S'il n'y avait pas de concepts, il n'y aurait pas d'êtres, parce que pour être, il faut avoir des propriétés et des relations. On a donc prouvé : S'il n'y avait pas de lois, il n'y aurait pas d'êtres. Pas d'être sans loi. Il y a toujours des explications pour tout, parce qu'on donne des explications à partir des lois et parce que rien ne peut être sans loi. Lorsqu'elles sont vraies, les lois le sont de toute éternité. Elles précèdent logiquement et chronologiquement tout ce qui apparaît actuellement. Tout se passe comme si la parole précédait l'être, parce que pour être actuel il faut être possible, il faut être permis par les lois. « Au commencement la Parole. » (Jean, 1,1) Un fait est toujours déterminé par l'attribution d'une propriété à un individu, ou d'une relation entre plusieurs individus, donc par l'attribution d'un concept. Un énoncé d'observation attribue une propriété observée à un individu observé, ou une relation observée entre plusieurs individus observés, en les nommant. Percevoir est toujours percevoir en même temps un concept et un ou plusieurs êtres auxquels on attribue ce concept. La perception des êtres est toujours la perception des faits. Un individu dans un monde est toujours observé à partir de ses propriétés et de ses relations. Quand on observe une propriété, on observe en même temps l'individu qui a cette propriété. Quand on observe une relation, on observe en même temps les individus qui ont cette relation. Mais on n'observe jamais d'individu sans observer ses propriétés ou ses relations. Un individu nu, sans propriétés ni relations, ne peut pas être observé, il ne peut pas exister pour un observateur. L'observation des concepts est plus fondamentale que l'observation des individus, parce qu'un individu n'est jamais observé sans qu'on lui attribue des concepts. Les dispositifs de perception sensorielle sont des producteurs d'observations sur le monde dans lequel nous vivons. Ils sont donc des producteurs de vérité fondamentaux, parce que sans eux on ne pourrait pas connaître le monde actuel. Pour observer le monde actuel, nous ne nous contentons pas de la perception sensorielle, nous la complétons avec des instruments d'observations et des théories. Une théorie peut servir à produire de nouvelles observations à partir d'observations déjà faites, parce que la conclusion d'un raisonnement fondé sur des observations peut être elle aussi une observation. Un concept peut être attribué non seulement aux êtres du monde actuel, mais aussi aux êtres de mondes possibles. Les mondes sont possibles relativement à un système de lois. Les mondes possibles sont ceux qui respectent les lois. Par exemple les mondes naturellement possibles sont les mondes qui respectent les lois de la Nature. Une théorie est un système de lois. Elle est déterminée avec des principes : des axiomes et des définitions. Les axiomes sont les lois fondamentales qui déterminent les concepts fondamentaux. Les définitions déterminent les concepts définis à partir des concepts fondamentaux. Les théorèmes sont les conséquences logiques des principes. Les concepts sont attribués à des êtres possibles si et seulement si cette attribution est un théorème. Les théories servent à observer le monde actuel, mais elles donnent aussi les moyens d'aller beaucoup plus loin, parce qu'elles donnent la puissance de connaître tous les possibles, tout ce qui peut être imaginé et pensé. Les théories ouvrent les portes de la connaissance de tous les mondes possibles. On détermine des concepts de façon empirique en donnant des dispositifs d'observation du monde actuel. On détermine des concepts de façon purement théorique en donnant des principes qui permettent de raisonner avec eux. Par exemple, le concept de distance peut être identifié à la relation ternaire entre deux points x et y d'un espace et un nombre réel positif z : d(x, y) = z. Tous les instruments de mesure des distances déterminent de façon empirique ce concept. Des axiomes qui fondent une géométrie le déterminent de façon théorique. Dans les sciences empiriques, on veut que nos concepts soient déterminés à la fois d’une façon empirique et d’une façon théorique, parce qu’on veut des théories qui expliquent le monde actuel. Un concept est précisément déterminé lorsque la vérité de son attribution est déterminée dans tous les cas. Une telle précision est rarement atteinte et n'est pas forcément souhaitable. Le flou conceptuel, l'indétermination partielle, peut rendre l'usage des concepts plus souple et mieux adapté à la réalité. Il faut seulement rechercher la précision qui convient, celle qui suffit pour établir la vérité des observations ou des conclusions.