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Philosophie/Une brève introduction/Remarques préliminaires

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Dans ce chapitre introductif, nous proposons d'examiner quelques idées préconçues qui pourraient gêner l'accès à la philosophie. Nous ne prétendons pas en faire le tour, et nous aurons avant tout pour objectif d'opposer à ces idées des idées tirées de l'exercice même de la philosophie et de son état actuel, idées susceptibles d'en faire un portrait plus juste.

Une discipline qui laisse perplexe

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La philosophie est une discipline déroutante : contrairement à des disciplines comme la physique ou le français, on ne voit pas bien, au premier abord, quel peut en être le sujet ou la matière. Et si l'on peut comprendre l'utilité de la physique et du français, même quand ces matières nous ennuient, la philosophie nous ennuie et ne sert à rien.

Au lycée, par exemple, les matières étudiées dans le cours de philosophie sont très variées ; elles sont abordées d'une manière inhabituelle qui suscite indifférence, méfiance ou enthousiasme : on est en effet amené à réfléchir à des notions de psychologie, d'art ou de sociologie, sans être soi-même scientifique, ni avoir nécessairement le moindre talent artistique, et les analyses menées ont souvent un caractère spéculatif bien éloigné des méthodes expérimentales.

La philosophie apparaît comme une matière hétéroclite, sans contenu bien précis et définitif, dont les règles et la méthode sont difficiles à cerner, et le philosophe comme un individu capable de parler de tout d'une manière générale, sans rien connaître en particulier. On voit qu'il serait difficile dans ces conditions d'en tracer les limites, et ne parlons pas d'en donner une définition.

Ces opinions, auxquelles on est confronté dans l'enseignement de la philosophie, appellent quelques remarques préliminaires qui seront des mises au point sur des préjugés particulièrement nocifs et tenaces.

Une activité descriptible

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En premier lieu, bien des difficultés de compréhension à l'égard de la philosophie relèvent de l'habitude qui est prise dans le cadre scolaire (notamment par un dressage au cloisonnement des connaissances) de donner un contenu précis à une matière, de classer et catégoriser des matières et de les délimiter les unes par rapport aux autres.

Nous développerons l'idée que la philosophie n'entre pas dans ces schémas intellectuels, tout en étant cependant une activité descriptible et reconnaissable avec une assez grande précision : nous montrerons en effet que tous les philosophes, malgré les différences d'opinions qui existent entre eux, pratiquent des activités qui ont entre elles un air de famille permettant de les regrouper sous ce même mot de « philosophie », sans qu'il soit pourtant nécessaire d'en fournir une définition.

Cette description de la philosophie ne doit cependant pas dissimuler les profondes divergences qui existent entre les philosophes, ni le fait que l'indétermination de ce qu'est la philosophie (que l'on pourrait considérer comme une objection contre son existence même) lui est inhérente pour des raisons que nous aurons l'occasion de développer.

Une discipline qui ne se suffit pas à elle-même

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Notre seconde série de remarques portera sur le caractère hétéroclite de la philosophie.

Loin d'être une discipline de dilettantes, comme pourrait le suggérer la multitude assez disparate des questions et des notions abordées, la philosophie demande, pour être bien pratiquée, des connaissances approfondies, voire une spécialisation, qui répondent, entre autres, à la spécialisation croissante des disciplines scientifiques.

Ce n'est pas une exigence nouvelle ou inhabituelle, car, pour se poser des questions, il faut d'abord avoir certaines sortes d'expériences et de connaissances. La pensée a besoin d'une matière, tout d'abord pour être stimulée, et mieux on possède une matière, mieux on est capable de la penser. Si la pratique d'un art ne fait pas de nous des philosophes de l'art, l'ignorance en matière d'art et l'absence complète de goût artistique non plus. Il est difficile de concevoir comment quelqu'un pourrait se prétendre philosophe, en n'étant que philosophe.

L'étude de la philosophie ne peut donc faire l'économie d'une solide culture, et, en particulier, d'une culture scientifique suffisante qui évitera de discuter de certaines questions en des termes obsolètes ou approximatifs. Cette nécessité fait que de nombreux philosophes ont également une formation scientifique, qu'il s'agisse, par exemple, de logique, de physique, de psychologie ou de linguistique. L'histoire de la philosophie est instructive sur ce point, puisqu'Aristote était entre autres biologiste et logicien, Descartes mathématicien et physicien, et il y a de très nombreux autres exemples.

Ces remarques pourraient être finalement résumées par l'idée que l'étude de la philosophie ne se suffit pas à elle-même.

Dans le cadre d'une introduction, une telle culture n'est heureusement pas une nécessité, car il serait tout simplement impossible de présenter la philosophie, tant les connaissances exigées sont nombreuses et variées. Le lecteur doit être conscient qu'une présentation de la philosophie est forcement partielle, mais aussi décevante : nous n'allons pas traiter dans le détail chacun des points que nous aborderons, et nous nous contenterons souvent de considérations qui pourront paraître trop générales. Il est probable que le lecteur restera parfois sur sa faim, et nous renverrons donc vers des ouvrages philosophiques spécialisés pour approfondir telle ou telle notion.

Une discipline riche et multiforme

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Nous terminerons ces remarques en observant que la philosophie n'a sans doute jamais été aussi active, foisonnante et mondiale dans toute l'histoire de l'humanité.

Non seulement en quantité, puisque des milliers d'articles et de livres sont publiés chaque année, mais aussi par la nature même de ses questionnements, puisque les bouleversements inédits (politiques, moraux, scientifiques, technologiques) de ces derniers siècles soulèvent des questions nouvelles, toujours plus nombreuses. Mais la philosophie a également gagné en étendue, abordant des sujets autrefois jugés vulgaires (par exemple la culture populaire), futiles, voire obscènes, et de ce fait rarement explorés malgré l'avertissement de Parménide[1].

La philosophie est toujours vivante, actuelle ou, si l'on veut, inactuelle, déroutante et fascinante, et elle est plus riche que jamais. C'est là, nous semble-t-il, l'idée fondamentale que l'on doit garder à l'esprit pour l'aborder dans de bonnes conditions.

Nous voulons insister sur cette idée, parce que la multitude des formes que prend aujourd'hui, à tort ou à raison, la philosophie, peut produire des effets désastreux[2] : enseignée de manière scolaire, elle peut être ennuyeuse ; froide et logique, elle peut rebuter ; médiatisée et polémique, elle peut susciter à bon droit la méfiance et le rejet. Il y a de nombreuses raisons de faire une mauvaise première expérience de la philosophie et d'en rester là, ignorant que cette expérience n'en était qu'une parmi d'autres possibles.

Pour éviter une malencontreuse première impression, le lecteur devrait idéalement tomber sur le bon livre de philosophie ou sur le bon professeur, c'est-à-dire sur celui qui lui convient. Cette bonne expérience relève de la bonne fortune ; on peut toutefois tenter de guider le lecteur pour qu'il provoque lui-même cette bonne fortune.

Une discipline personnelle

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Voici quelques remarques, tirées de l'expérience, qui pourront peut-être vous servir de conseils bénéfiques pour bien aborder la philosophie, et pour vous en faire votre propre idée dans les meilleures conditions.

Le premier conseil est de toujours se faire une idée par soi-même, et d'oublier, en commençant l'étude la philosophie, tout ce que vous avez entendu dire à son sujet.

Il faut donc lire, et lire beaucoup, mais lire en suivant ses goûts : la morale, la science-fiction, la métaphysique, le cinéma, le rock, la condition animale ou l'identité sexuelle, c'est en étudiant ce qui vous intéresse que vous pratiquerez la philosophie, pas en suivant un programme qui ne peut être utile que pour vous donner quelques éléments indispensables.

Si vous développez, au fur et à mesure de vos lectures, un appétit insatiable pour la philosophie, il est bon d'avoir à l'esprit que la philosophie n'est pas morte ou finie, mais qu'il y a de nombreux « continents » de la pensée qui restent à explorer. Que ce soient les sciences ou les événements de l'histoire récente, il y a toujours matière à philosopher, pourvu que l'on soit avide de connaissances.

On pourra donc conseiller de commencer par la lecture de philosophes contemporains (XXe et XXIe siècles), plutôt que d'étudier les auteurs dits « classiques », pour ce qui concerne notamment des sujets scientifiques et l'évolution des sociétés contemporaines.

Dans le même ordre d'idées, il faut savoir sortir de vos frontières nationales, et éventuellement apprendre une ou plusieurs langues, car la philosophie est autant polonaise que française, américaine ou australienne.

Un piège dans lequel on tombe facilement est de ne plus suivre que ses propres intérêts, aussi pouvez-vous lire aussi souvent que possible des livres sur des sujets qui vous sont inhabituels ou au contraire trop familiers.

Finalement, vous mourrez probablement aussi ignorant que vous l'étiez à la naissance sur ce que tout cela signifie, mais l'exploration de l'univers et de la vie sont des occupations assez plaisantes dans l'intervalle.

  1. Platon, Parménide, 130c et suivants. Le mépris pour les choses viles est considéré par Parménide comme un manque d'esprit philosophique lié à la jeunesse.
  2. Roger Pouivet parle d'une massification de la philosophie, sans entrer dans le détail des problèmes qu'un tel phénomène soulève. L'un de ces problèmes est que la popularisation de la philosophie suggère à tort que l'on n'a pas besoin de formation pour être philosophe.
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