Neurosciences/La peur et le circuit de la punition
Dans le chapitre précédent, on a vu qu'il existait un système cérébral spécialisé dans la gestion des émotions négative, et notamment de la peur. Pour faire simple, il s'agit d'un ensemble d'aires cérébrales qui s'activent quand le sujet a peur, ou qu'il ressent des émotions négatives. La majorité des études ont étudié le cas de la peur, ou du moins des réactions face à des stimulus menaçants. Ce qui fait que ce système identifié dans ces études est appelé le circuit cérébral de la punition, ou encore le centre cérébral de la peur. Dans ce chapitre, nous allons étudier ce système d'aires cérébrales.
Dans ce circuit de la punition, l'amygdale est de loin la plus importante dans le circuit de la punition. Il s'agit d'un ensemble de noyaux appartenant au lobe temporal médian, localisé non loin de l'hippocampe. Il y a une amygdale par hémisphère et quelques travaux semblent indiquer que le fonctionnement de l'amygdale est latéralisé (nous reviendrons sur le sujet plus tard). Les deux amygdales communiquent entre elles par un faisceau inter-hémisphérique spécialisé, la commissure antérieure, qui connecte aussi les deux lobes temporaux et quelques autres aires cérébrales.
L'anatomie de l'amygdale
[modifier | modifier le wikicode]L'amygdale est composée d'un ensemble de noyaux relativement distincts, au nombre de 13 : noyau basomédial, noyau basolatéral, noyau médial, noyau central, noyau cortical, noyau latéral, etc. Cette profusion de noyaux fait que l'amygdale est parfois appelée complexe amygdalien, terme qui montre que l'amygdale n'est pas une entité anatomique unique, bien que son unité fonctionnelle soit certaine. Les chercheurs ne sont même pas certains de l'organisation anatomique des noyaux amygdaliens et ne savent pas comment l'amygdale est subdivisée. À vrai dire, de nombreux noyaux ont été ajoutés au fil du temps dans l'amygdale, et il n'est pas exclu que l'anatomie interne de l'amygdale soit révisée dans le futur.
La subdivision anatomique de l'amygdale
[modifier | modifier le wikicode]Une hypothèse relativement ancienne et robuste postule que l'amygdale est constituée de deux sous-ensembles de noyaux distincts : un ensemble de noyaux dériverait du cortex olfactif, alors que le reste serait une extension du néocortex. La part ancienne, tirée du cortex olfactif regroupe les noyaux cortical, médian et central, ce qui fait qu'elle est appelée la région cortico-médiane ou encore centrale-médiane. La région tirée du néocortex regroupe les noyaux latéral, basolatéral et basomédial, d'où son nom de région basolatérale. Les premiers scientifiques à avoir étudié l'amygdale limitaient celle-ci à la région basolatérale, mais celle-ci a grossi au cours du temps, avec l'adjonction progressive des noyaux de la région cortico-médiane.
Cette subdivision est justifiée par les afférences et éfférences de chaque subdivision. Ainsi, on sait que la région centro-médiane est fortement innervée par le bulbe olfactif et des aires sous-corticale, alors que la région basolatérale est innervée par le néocortex. Pour être plus précis, nous allons subdiviser l'amygdale en trois portions approximatives : centrale, médiane et basolatérale. La région centro-médiane est donc reliée à des zones sous-corticales, liées à l'olfaction ou à l'homéostasie. L'aire médiane de l'amygdale est innervée par les aires olfactives, alors que l'aire centrale est connectée avec l’hypothalamus et le tronc cérébral. Les liaisons vers l'hypothalamus et le tronc cérébral sont toutes des éfférences et sont vraisemblablement liées à l'expression motrice des émotions, que ce soit sur le visage, la modification du rythme cardiaque ou respiratoire, etc. Par contre, l'aire/région basolatérale est reliée au cortex cérébral et a vraisemblablement un rôle dans la cognition liée aux émotions ou dans l'apprentissage émotionnel. Le noyau latéral recoit des afférences provenant du thalamus et du lobe temporal (les aires auditives).
Les afférences et éfférences amygdaliennes
[modifier | modifier le wikicode]L'amygdale reçoit des afférences axoniques de très nombreuses aires cérébrales, si nombreuses qu'il est inutile de toutes les lister ici. Si on fait un gros résumé, en se concentrant sur les afférences et éfférences principales, les stimulus sensoriels sont envoyés à l'amygdale par deux voies : une voie directe, qui ne fait pas intervenir la conscience, et une voie indirecte consciente, qui fait relai par le cortex cérébral. La voie directe correspond à un ensemble d'axones provenant du thalamus, qui font synapse sur l'amygdale. La voie indirecte est similaire, si ce n'est que les axones font synapse dans le cortex cérébral, cortex qui fait synapse sur l'amygdale. La voie directe permet une réaction rapide et instinctive à un stimulus potentiellement aversif., alors que la voie indirecte permet une reconnaissance plus poussée du stimulus, qui fait intervenir un traitement cognitif de haut niveau.
Pour détailler un peu plus, les afférences proviennent aussi bien du cortex que des structures sous-corticales comme le tronc cérébral, le thalamus ou l'hypothalamus. Pour ce qui est des structures corticales principales, on peut signaler que le cortex préfrontal se connecte directement sur l'amygdale, ainsi que les cortex sensoriels. Les trois afférences principales proviennent du cortex sensoriel, du cortex préfrontal, et du tronc cérébral (plus précisément du locus coeruleus, des noyaux du Raphé et de l'aire tegmentale ventrale). Ces afférences ne se connectent cependant pas sur les mêmes neurones : certains font synapse sur des neurones glutaminergiques, d'autres sur des neurones GABAergiques. Les afférences du cortex sensoriel se connectent directement sur les neurones glutaminergiques. Les neurones préfrontaux vont eux innerver les neurones GABAergiques, qui innervent eux-mêmes les neurones glutaminergiques. Les afférences du tronc cérébrales sont assez diverses, celles de l'aire tegmentale ventrale se démarquant par leur fonction : elles inhibent la transmission préfrontale et renforcent la transmission du cortex sensoriel. On peut les voir comme une sorte de voie de régulation, qui agit selon l'humeur ou l'état d'éveil. En dehors de ces afférences principales, il faut signaler que le bulbe olfactif se connecte directement sur l'amygdale. Cette connexion sera démarque des autres par son rôle dans l'identification des odeurs dégoûtantes et/ou signes de danger (odeur de putréfaction, de toxines, ou autre).
Ses éfférences sont plus nombreuses en direction de mêmes aires, auxquelles il faut ajouter le cortex entorhinal :
- hypothalamus ;
- thalamus dorsal ;
- tronc cérébral et notamment la substance noire, le raphe et la formation réticulée ;
- striatum ventral (noyau accumbens) et dorsal (noyau caudé, putamen) ;
- cortex cérébral et notamment cortex entorhinal.
La fonction de l'amygdale
[modifier | modifier le wikicode]On est certain que l'amygdale est fortement impliquée dans le comportement émotionnel, comme démontré par les études sur les lésions de l'amygdale. Si on en croit la méthode des lésions, l'amygdale est impliquée dans les réactions de peur et de colère, ainsi que dans l'anxiété et l’agressivité, que ce soit chez l'humain ou l'animal. Par exemple, on observe que des singes à l'amygdale lésée cessent d'être agressifs et deviennent subitement dociles. La plus frappante est certainement l'étude de Downer, qui retira l'amygdale droite ou gauche de singes rhésus, de sorte que chaque singe ait une seule amygdale fonctionnelle. Si on présente un stimulus aversif du côté controlatéral à la lésion, de manière à ce qu'il soit perçu par l’hémisphère à l'amygdale lésée, le singe ne réagit pas. Par contre, si on présente le stimulus aversif de l'autre côté, le singe réagit avec colère. Chez l'humain, des lésions à l'amygdale diminuent, voire suppriment presque totalement, les réactions de peur et de colère.
Le conditionnement émotionnel et opérant
[modifier | modifier le wikicode]L'amygdale est surtout impliquée dans la dimension cognitive et subjective de l'émotion et notamment dans l'apprentissage émotionnel. Pour être précis, elle est impliquée dans une forme particulière de conditionnement : le conditionnement émotionnel. On peut voir celui-ci comme un processus d'apprentissage émotionnel assez simple qui permet de reconnaître des situations dangereuses ou plaisantes que l'on a déjà rencontré. Pour être précis, ce processus associe une émotion à chaque situation, sous réserve que la situation ait été rencontrée précédemment.
- Avant de poursuivre, faisons rapidement un rappel sur ce qu'est le conditionnement. Celui-ci permet d'associer un comportement, ici une réaction émotionnelle (de peur, souvent), à ce qu'on appelle un stimulus. Un stimulus est toute modification de l'environnement que l'organisme peut percevoir d'une manière ou d'une autre. Un flash lumineux, un choc électrique soudain, un jet d'eau dans les paupières, un petit marteau de médecin qui tombe sur votre genou : ce sont tous des stimuli. Certains stimulus déclenchent des réflexes ou des réactions plus ou moins automatiques, qui sont appelés des stimuli inconditionnels. À côté, certains stimuli ne déclenchent pas de réflexes sans apprentissage : ce sont des stimulus neutres. Le conditionnement de Pavlov apparaît lorsqu'un stimulus neutre est présenté à peu près en même temps qu'un stimulus inconditionnel. À force de répéter cette présentation, le stimulus neutre finira par déclencher le comportement tout seul, sans la présence du stimulus inconditionnel : c'est le conditionnement de premier ordre. Le stimulus neutre devient un stimulus conditionné. Le conditionnement peut aussi impliquer un stimulus neutre, que l'on associe progressivement à un autre stimulus conditionné : c'est un conditionnement de second ordre. Et ainsi de suite.
Pour un exemple d'expérience illustrant ce fait, on peut parler des exemples de conditionnement de peur chez le rat. Ces expériences associent un son précis avec un choc électrique. Le son sert de stimulus initialement neutre, tandis que le choc électrique est un stimulus inconditionnel. Après plusieurs essais, où le son et le choc électrique sont perçus presque en même temps, on voit que la simple présentation du son déclenche une réaction de peur chez le rat. Le rat a été conditionné : le stimulus sonore est devenu un stimulus conditionné. Il se trouve que l'ablation de l'amygdale supprime cet apprentissage émotionnel.
Pour le prouver chez l'humain, on peut mentionner une expérience faite par le neurologue Damasio. Celui-ci a pris des patients amnésiques, qui avaient des lésions à l'hippocampe, qui étaient incapables de former des souvenirs ou de mémoriser des faits. Ils étaient notamment incapables de mémoriser les visages, et oublient les personnes qu'ils rencontrent : ils peuvent avoir vu des centaines de fois une personne et avoir longuement parlé avec eux, tout se passe comme s'ils rencontraient un inconnu. L'expérience était très simple. Le patient était ainsi traité durant quelques semaines par deux infirmiers : le premier avait reçu pour consigne d'être légèrement méchant avec le patient, tandis que l'autre devait avoir un comportement agréable. À la fin de la semaine, on montrait une photographie des deux infirmiers au cobaye. Celui-ci avait bien sûr oublié les infirmiers et prétendait le les avoir jamais vus quand on leur présentait la photographie. Mais quand on leur demandait lequel des deux infirmiers semblait le plus sympathique, 90 % des cobayes prenaient l'infirmier gentil : on est bien loin des 50 % qu'auraient donné un oubli.