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Mode d'emploi de la raison/Quelques remarques sur Platon

Un livre de Wikilivres.

L'éternelle actualité de Platon

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Platon est toujours d'actualité.

Les vérités qu'il a enseignées sont éternelles. Elles sont une source éternellement jaillissante de vérités.

La vérité sur le savoir : un savoir est une vérité accompagnée d'une raison.

La vérité philosophique la plus élevée : rien n'est plus beau que la beauté.

Preuve : tout ce qui est beau est beau grâce à la beauté. Or rien n'est plus beau que d'avoir donné de la beauté à tout ce qui est beau. Donc rien n'est plus beau que la beauté.

La grande découverte de Platon : les causes premières de tous les êtres sont des Formes.

Les mathématiques appliquées sont du platonisme au travail.

(...)

Les Formes sont des concepts

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Un être qui est beau est beau grâce à la Forme de la beauté, parce que s'il n'avait pas la forme de la beauté, il ne serait pas beau.

Il en va de même pour toutes les autres Formes : la vérité, le savoir, le bien, la justice, le courage, la foi, l'amour...

Attribuer un concept à un être est dire qu'il a une certaine forme. Un concept, c'est à dire une propriété ou une relation, est une Forme, ou une Idée.

Les Formes et les modèles

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Si on a un modèle, on peut définir la propriété d'être semblable au modèle, et considérer le modèle lui-même comme une Forme. Dans ce cas, il y a une ressemblance entre la Forme et l'être auquel elle est attribuée. C'est pourquoi les Formes sont souvent considérées comme des modèles, ou des archétypes. Une Forme est attribuée à un être si cet être lui est semblable.

Platon raisonne souvent (République X, Parménide...) comme si une propriété était toujours la propriété d'être semblable à un modèle, mais ce n'est pas nécessaire pour faire la théorie des Formes.

En général, il n'y a pas de ressemblance évidente entre un être et le concept qui lui est attribué. Une Forme n'est pas nécessairement un modèle.

Les Formes apparaissent

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La relation entre une Forme et l'être auquel elle est attribuée est semblable à la relation entre un être visible et son ombre, surtout si la Forme est la propriété d'être semblable à un modèle, parce que le modèle lui-même est alors considéré comme une Forme. Cette ressemblance fait l'allégorie de la caverne, exposée par Socrate au début du livre VII de la République. Les phénomènes sont comme les ombres projetées par les Formes.

"les hommes dont elle est la condition ne tiendraient, pour être le vrai, absolument rien d'autre que les ombres projetées par les objets fabriqués." (Platon, La République, 515 c, traduite par Léon Robin)

Une Forme apparaît si son attribution à un être phénoménal est vraie. Un tel être phénoménal est alors comme une ombre de la Forme.

La participation des Formes fait des êtres qu'ils sont et ce qu'ils sont

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Une même Forme peut être attribuée à de nombreux êtres. Tous ces êtres participent à l'être de la Forme. L'attribution d'une Forme est une participation : la methexis.

« La Forme se retrouve une et identique en même temps en plusieurs endroits. C'est comme si tu étendais un voile sur plusieurs êtres humains et que tu disais « Le voile reste un en sa totalité, lorsqu'il est étendu sur plusieurs choses. » (Platon, Parménide, 131b, traduit par Luc Brisson)

On peut aussi dire que la Forme participe à l'être des êtres auxquels elle est attribuée.

L'être d'un individu est d'avoir des propriétés et des relations. Un individu ne pourrait pas être ce qu'il est si les Formes n'étaient pas. Et s'il ne pouvait pas être ce qu'il est, il ne serait pas, tout court. Donc les Formes font des êtres ce qu'ils sont. Sans les Formes , tous les autres êtres ne seraient pas ce qu'ils sont, et ils ne seraient pas.

Y a-t-il une Forme pour chaque concept ?

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"c'est bien, n'est-ce pas ? notre coutume, à propos des choses multiples singulières auxquelles nous attribuons un nom identique, de soutenir qu'il en existe une forme singulière qui est unique." (République X, 596a)

"Et enfin les objets que voici, Socrate ? Ils pourraient même sembler grotesques (par exemple, poil, boue, crasse, ou toute autre chose, la plus dépréciée et la plus vile); es-tu aussi à leur égard en difficulté ? Faut-il déclarer que pour ces objets aussi il existe une Idée à part, et qu'elle est distincte des échantillons que nous pouvons manipuler ?" (Parménide, 130cd)

Pour la science et la philosophie, les Formes qui nous intéressent vraiment sont celles qui sont déterminées par une théorie. La théorie de la crasse ne semble pas fondamentale pour faire la science. Il n'est peut-être pas nécessaire de postuler l'existence de la Forme de la crasse. Mais la théorie du mal est très fondamentale. Il faut donc postuler l’existence de la Forme du mal, si on veut expliquer l'existence du mal.

Le paradoxe du troisième homme

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Si on postule qu'une propriété est toujours la propriété de ressembler à un modèle, on se heurte au paradoxe du troisième homme (Aristote, à citer) :

  • Le premier homme est l'homme en chair et en os.
  • Un homme est un homme parce qu'il est semblable à l'Idée de l'homme. Le deuxième homme est l'Idée de l'homme.
  • L'Idée de l'homme est l'Idée de l'homme, parce qu'elle est semblable à l'Idée de l'Idée de l'homme. L'Idée de l'Idée de l'homme est le troisième homme.

Et pourquoi pas un quatrième homme ? L'Idée de l'Idée de l'Idée de l'homme ?

Il est évidemment insensé d'imposer l'existence d'un nombre infini d'Idées pour expliquer l'existence d'un seul être humain.

Mais on n'a pas besoin de postuler qu'une propriété est toujours la propriété de ressembler à un modèle pour faire la science. Il faut renoncer à ce principe, puisqu'il conduit à des conclusions insensées.

Quand une propriété n'est pas définie par la ressemblance à un modèle, comment est-elle déterminée ?

Les lois font les Formes

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Un concept est déterminé par les lois de son attribution. Le respect des lois est essentiel. Un concept ne peut pas être ce qu'il est sans respecter ses lois. Si on change les lois de son attribution, on change le concept.

Si une propriété est la propriété de ressembler à un modèle, un être a cette propriété si et seulement si il ressemble au modèle. C'est une loi.

Tous les concepts, donc toutes les propriétés et toutes les relations, sont déterminés par des lois. Donc s'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas de concept.

Pour connaître les Formes, il faut connaître les lois.

Les Formes sont éternelles et immuables, parce que les lois qui les déterminent sont éternelles et immuables.

Le platonisme au travail

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Quand on définit un modèle mathématique, on définit la propriété d'être semblable au modèle, on définit donc une Forme. Les modèles mathématiques sont des Formes. Observer la ressemblance entre un être mathématique et un être phénoménal est comme observer la relation entre un être visible et son ombre. Les mathématiques appliquées sont du platonisme en acte, du platonisme au travail.

Dès qu'elle se sert de théories, la science étudie des Formes. On cherche des lois fondamentales à partir desquelles expliquer tout ce qui est. Les lois fondamentales déterminent des concepts, donc des Formes, et des modèles de la réalité observée, qui sont aussi des Formes. On a une bonne explication quand on a un bon modèle. On observe une ombre d'une Forme quand on observe la ressemblance entre un modèle théorique et la réalité phénoménale, ou quand on observe la vérité de l'attribution d'un concept.

Les causes premières sont des Formes

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Les lois sont premières, par rapport à tous les êtres, parce qu'il n'y a pas de concept sans loi et pas d'être sans concept. Au commencement était la loi.

Énoncer des lois est toujours déterminer des concepts. Pas de loi sans concept.

Les causes premières de tous les êtres sont donc des lois, ou les Formes qu'elles déterminent.

La vérité sur le savoir

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« il disait que l'opinion vraie accompagnée d'une raison (logos) est science, tandis que celle qui est dépourvue de raison est en dehors de la science; et ce dont il n'y a pas de raison n'est pas sachable - tel est le mot qu'il forgeait - tandis que ce qui en a une est sachable.» (Théétète, 201d)

"Diotime : N'as-tu pas le sentiment que, entre science et ignorance, il y a un intermédiaire ?

Socrate : Lequel ?

Diotime - Avoir une opinion droite, sans être à même d'en rendre raison. Ne sais-tu pas, poursuivit-elle, que ce n'est là ni savoir - car comment une activité dont on ne saurait rendre raison saurait-elle être une connaissance sûre ? - ni ignorance, car ce qui atteint la réalité ne saurait être ignorance." (Le Banquet, 202a, traduit par Luc Brisson)

(...)

Amour est le chemin de la philosophie

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Le discours de Diotime, rapporté par Socrate dans Le banquet de Platon, enseigne que l'amour est le chemin de la philosophie :

Amour (Éros) est un démon. "Tout ce qui présente la nature d'un démon est intermédiaire entre le divin et le mortel." (202e)

Amour est un messager. "Il interprète et il communique aux dieux ce qui vient des hommes, et aux hommes ce qui vient des dieux" (202e)

Amour est l'enfant de Passage (Poros) et Pauvreté (Pénia). "Pénia, dans sa pénurie eut le projet de se faire faire un enfant par Poros ; elle s'étendit près de lui et devint grosse d’Éros." (203c)

De Passage Amour a hérité la puissance. De Pauvreté il a hérité le perpétuel dénuement, parce qu'il n'épargne jamais. Il n'a même pas de chaussures.

"Du fait qu'il est le fils de Poros et de Pénia, Éros se trouve dans la condition que voici. D'abord il est toujours pauvre, et il s'en faut de beaucoup qu'il soit délicat et beau, comme le croient la plupart des gens. Au contraire, il est rude, malpropre, va-nu-pieds et il n'a pas de gîte, couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car, puisqu'il tient de sa mère, c'est l'indigence qu'il a en partage. À l'exemple de son père en revanche, il est à l'affût de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, résolu, ardent,c'est un chasseur redoutable ; il ne cesse de tramer des ruses, il est passionné de savoir et fertile en expédients, il passe tout son temps à philosopher, c'est un sorcier redoutable, un magicien et un expert. Il faut ajouter que par nature il n'est ni immortel ni mortel. En l'espace d'une même journée, tantôt il est en fleur, plein de vie, tantôt il est mourant ; puis il revient à la vie quand ses expédients réussissent en vertu de la nature qu'il tient de son père ; mais ce que lui procure ses expédients sans cesse lui échappe ; aussi Éros n'est-il jamais ni dans l'indigence ni dans l'opulence." (203cde)

"le savoir compte parmi les choses qui sont les plus belles ; or Éros est amour du beau. Par suite, Éros doit nécessairement tendre vers le savoir." (204b)

"Voilà sans doute, Socrate, en ce qui concerne les mystères relatifs à Éros, les choses auxquelles tu peux, toi aussi être initié. Mais la révélation suprême et la contemplation, qui en sont également le terme, quand on suit la bonne voie, je ne sais si elles sont à ta portée. Néanmoins, dit-elle, je vais parler sans ménager mon zèle. Essaie de me suivre, toi aussi, si tu en es capable.

Il faut en effet, reprit-elle, que celui qui prend la bonne voie pour aller à ce but commence dès sa jeunesse à rechercher les beaux corps. Dans un premier temps, s'il est bien dirigé par celui qui le dirige, il n'aimera qu'un seul corps et alors il enfantera de beaux discours ; puis il constatera que la beauté qui est en un corps quelconque est sœur de la beauté qui se trouve dans un autre corps, et que, si l'on s'en tient à la beauté de cette sorte, il serait insensé de ne pas tenir pour une et identique la beauté qui réside dans tous les corps. Une fois que cela sera gravé dans son esprit, il deviendra amoureux de tous les beaux corps et son impérieux amour pour un seul être se relâchera ; il le dédaignera et le tiendra pour peu de choses. Après quoi, c'est la beauté qui se trouve dans les âmes qu'il tiendra pour plus précieuse que celle qui se trouve dans le corps, en sorte que, même si une personne ayant une âme admirable se trouve n'avoir pas un charme physique éclatant, il se satisfait d'aimer un tel être, de prendre soin de lui, d'enfanter pour lui des discours susceptibles de rendre la jeunesse meilleure, de telle sorte par ailleurs qu'il soit contraint de discerner la beauté qui est dans les actions et dans les lois, et de constater qu'elle est toujours semblable à elle-même, en sorte que la beauté du corps compte pour peu de choses à son jugement. Après les actions, c'est aux sciences que le mènera son guide, pour qu'il aperçoive dès lors la beauté qu'elles recèlent et que, les yeux fixés sur la vaste étendue déjà occupée par le beau, il cesse comme le ferait un serviteur attaché à un seul maître, de s'attacher uniquement à la beauté d'un unique jeune homme, d'un seul homme fait ou d'une seule occupation, servitude qui ferait de lui un être minable et à l'esprit étroit ; pour que, au contraire, tourné vers l'océan du beau et le contemplant, il enfante de nombreux discours qui soient beaux et sublimes, et des pensées qui naissent dans un élan vers le savoir, où la jalousie n'a point de part, jusqu'au moment où, rempli alors de force et grandi, il aperçoive enfin une science qui soit unique et qui appartienne au genre de celle qui a pour objet la beauté dont je vais parler." (209e-210d)

La beauté "lui apparaîtra en elle-même et pour elle-même, perpétuellement unie à elle-même dans l'unicité de son aspect, alors que toutes les autres choses qui sont belles participent de cette beauté d'une manière telle que ni leur naissance ni leur mort ne l'accroît ni ne la diminue en rien, et ne produit aucun effet sur elle." (211b)

"quels sentiments, à notre avis, pourrait bien éprouver, poursuivit-elle, un homme qui arriverait à voir la beauté en elle-même, simple, pure, sans mélange, étrangère à l'infection des chairs humaines, des couleurs et d'une foule d'autres futilités mortelles, qui parviendrait à contempler la beauté en elle-même, celle qui est divine, dans l'unicité de sa Forme ? Estimes-tu, poursuivit-elle, qu'elle est minable la vie de l'homme qui élève les yeux vers là-haut, qui contemple cette beauté par le moyen qu'il faut et qui s'unit à elle ? Ne sens-tu pas , dit-elle, que c'est à ce moment là uniquement, quand il verra la beauté par le moyen de ce qui la rend visible, qu'il sera en mesure d'enfanter non point des images de la vertu, car ce n'est pas une image qu'il touche, mais des réalités véritables, car c'est la vérité qu'il touche. Or, s'il enfante la vertu véritable et qu'il la nourrisse, ne lui appartient-il pas d'être aimé des dieux ? Et si, entre tous les hommes, il en est un qui mérité de devenir immortel, n'est-ce pas lui ?" (211d-212a)

Amour nous conduit par étapes à la vérité la plus élevée, la vérité sur la beauté :

  • Il enseigne d'abord l'union des corps, et l'amour de leur beauté, parce qu'il est beau de recevoir du plaisir en en donnant. C'est la forme la plus universelle de la beauté. Même les animaux la connaissent.
  • Il enseigne ensuite la connaissance de l'être aimé, parce qu'on aime davantage quand on connaît, et parce qu'on connaît davantage quand on aime.
  • Il conduit à l'amour de la connaissance et montre comment la connaître.
  • Il donne l'amour de la connaissance de la connaissance, parce qu'on connaît mieux tous les êtres en connaissant la connaissance.
  • Il enseigne que la beauté est ce qui mérite le plus d'être aimé, parce qu'elle donne de la beauté à tout ce qui est beau.
  • La connaissance la plus digne d'être aimée est la connaissance de la beauté, parce que la connaissance n'existerait pas sans la beauté, parce qu'il est beau de connaître.
  • Il enseigne finalement la vérité absolue sur la beauté : rien n'est plus beau que la beauté et elle est la plus belle par elle-même, parce que rien n'est plus beau que d'avoir donné de la beauté à tout ce qui est beau.

(...)

"selon toute apparence, si l’un est ou si l’un n’est pas, lui et les autres choses, dans leurs rapports avec eux-mêmes et dans leurs rapports mutuels présentent et ne présentent pas de toutes les façons toutes les caractéristiques, paraissent et ne paraissent pas les présenter. - C’est la vérité même.” (Platon, Parménide, 166c, traduit par Luc Brisson)

L'un donne l'unité à tout ce qui est un. Or chaque être est un être, donc chaque être est un. Un être ne peut pas être sans être un. Donc l'un est comme l'être. Il donne l'être à tout ce qui est.

Faut-il en conclure que l'un est Dieu ?

Dieu est-il une Forme ? La Forme de l'être ? La Forme de l'un ?

(...)