Aller au contenu

Mode d'emploi de la raison/Épistémologie

Un livre de Wikilivres.

Qu'est-ce que le savoir ?

[modifier | modifier le wikicode]

L'épistémologie est le savoir sur le savoir, ou la science de la science. Un vrai savoir est toujours une science.

Un énoncé n'est jamais un savoir s'il est faux. Un savoir est toujours un énoncé vrai. Mais un énoncé vrai n'est pas toujours un savoir. Que faut-il pour qu'une vérité soit sue ?

Entre un énoncé et sa négation, on ne sait pas toujours lequel est vrai. Une vérité ne montre pas toujours qu'elle est une vérité. Mais un savoir doit toujours montrer qu'il est un savoir. Un savoir qui n'est pas accompagné de marques apparentes qu'il est un savoir, qui ne peut pas être reconnu comme un savoir, n'est pas vraiment un savoir.

Une vérité dite par hasard n'est pas un savoir. Si nous devions compter sur le seul hasard pour connaître la vérité, nous ne serions que des âmes égarées, nous ne connaîtrions jamais vraiment la vérité, puisque même si nous la disons, nous ne savons pas reconnaître qu'elle est la vérité.

Pour qu'une vérité soit sue, il faut qu'elle apparaisse clairement comme une vérité. Comment une vérité peut -elle montrer qu'elle est une vérité ?

Le chemin qui mène à la vérité doit montrer qu'elle est la vérité. La façon d'obtenir un énoncé vrai doit porter des marques apparentes qu'elle est une bonne façon d'atteindre la vérité. Il faut de bonnes méthodes, des bons instruments, de l'honnêteté et du bon travail. La devise du savant : tu gagneras la vérité à la sueur de ton front et tu l'enfanteras dans la douleur. Un savoir est une vérité qui est le fruit d'un bon travail.

Un énoncé est un savoir si et seulement si il est le fruit d'un bon travail de recherche de la vérité.

Cette définition ressemble à une lapalissade. Un savoir est ce qui est produit par un savant, quand il a bien travaillé. Et il semble qu'elle met les choses à l'envers. Il ne faut pas définir le savoir à partir du savant, il faut plutôt définir le savant à partir du savoir. Un savant est un esprit capable de produire du savoir. Mais la présente théorie met bien les choses à l'endroit. Le savoir y est défini à partir de la compétence à produire des vérités, parce que ce n'est pas seulement la vérité, mais aussi la capacité à bien la produire qui fait le savoir. C'est pourquoi il est naturel de définir le savoir à partir de la compétence des savants.

Un bon travail de recherche de la vérité est un acte de vertu intellectuelle (Zagzebski, Virtues of the Mind, 1996), un bon fonctionnement des mécanismes cognitifs (Plantinga, Warrant and Proper Function, 1993) ou d'un dispositif fiable de production de vérités (Goldman, Epistemology and Cognition, 1986).

Un instrument ou un dispositif d'observation est un moyen de production de la vérité. Pour bien travailler on a besoin de bons outils. On en conclut :

Une observation est un savoir si si seulement si elle peut être produite avec un bon dispositif d'observation qui a bien fonctionné en la produisant.

Un énoncé est toujours équivalent à l'observation qu'il est un énoncé vrai. Un dispositif producteur de vérité peut donc toujours être considéré comme un dispositif d'observation.

Un énoncé est un savoir si et seule

Un producteur de vérité peut être un esprit, une communauté d'esprits (Goldman 1999) ou un instrument d'observation, mais les esprits sont les producteurs de vérité les plus fondamentaux. Une communauté produit des vérités par la coopération d'esprits qui produisent des vérités. Un instrument d'observation produit des vérités quand il est bien utilisé par un esprit.

Un esprit n'est pas en général fiable dans tous les domaines où il essaie de produire des vérités. Ses compétences sont différenciées. C'est pourquoi un producteur de vérité doit être déterminé avec un domaine de compétences, pas seulement avec un esprit, une communauté ou un instrument d'observation.

Un producteur de vérité peut être bon sans être infaillible. Il est bon si et seulement si il fonctionne bien la plupart du temps, pas forcément toujours (Goldman 1986). Même si un bon producteur de vérité a produit un énoncé vrai, celui-ci n'est pas forcément un savoir. Du fait de circonstances inconnues, une succession d'erreurs qui se compensent par exemple, un bon producteur de vérité peut produire un énoncé vrai même s'il n'a pas bien travaillé. Dans un tel cas l'énoncé produit n'est pas un savoir, seulement une vérité obtenue par hasard. Il faut que la vérité d'un énoncé résulte du bon travail d'un bon producteur de vérité pour que cet énoncé soit un savoir (Zagzebski 2017).

Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est-il nécessaire pour qu'un producteur de vérité soit bon ? Zagzebski (1996 p. 182) propose le contre-exemple suivant. Une savante est très créative et apporte une fois sur vingt une contribution importante à la science, mais elle se trompe lourdement le reste du temps. Il semble qu'elle est une très bonne productrice de savoir malgré son taux d'erreur très élevé. Elle peut même être l'un de ceux qui font le plus progresser la science. Mais il faut que ses erreurs soient corrigées pour arriver au savoir. Quand on a dix-neuf chances sur vingt de s'être trompé, on ne sait pas. Pour faire un bon producteur de vérité, la créativité doit être accompagnée d'une méthode qui réduit son taux d'erreur.

Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est-il suffisant pour qu'un producteur de vérité soit bon ? Si on peut vérifier qu'une méthode de recherche de la vérité a un taux d'erreur faible alors cette méthode est nécessairement un bon travail de production de la vérité (Goldman 1986). Un taux d'erreur faible obtenu régulièrement ne peut pas être le fruit du hasard. Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est donc nécessaire et suffisant pour identifier les bons producteurs de vérité.

Un savoir peut être plus ou moins bien su, parce qu'un travail de recherche de la vérité peut être plus ou moins bon. Un travail de recherche de la vérité peut être plus ou moins bon, parce que son taux d'erreur peut plus ou moins petit, et parce que cette petitesse peut être plus ou moins bien sue.

Qu'est-ce que la vertu intellectuelle ?

[modifier | modifier le wikicode]

La vertu intellectuelle est la puissance de trouver la vérité.

Honnêteté, impartialité, cohérence, respect de la vérité, ouverture d'esprit, courage, persévérance, et beaucoup d'autres, font que nous pouvons devenir de bons chercheurs de vérité.  Un chercheur de vérité peut être bon au sens où il fournit des résultats fiables parce que son taux d'erreur est faible, ou au sens où il met en pratique sa vertu intellectuelle. Il n'est pas nécessaire de séparer ces deux significations. La vertu intellectuelle doit conduire à des résultats fiables, sinon elle ne serait pas une vertu. Inversement on  ne peut pas produire de résultats fiables sans vertu. Le simple usage d'un instrument d'observation requiert le respect de la vérité pour produire des résultats fiables. On ne peut rien faire ou presque sans la vertu. Il n'y a pas d'opposition entre l'efficacité ou la puissance d'une part et la vertu d'autre part, parce que rien n'est plus puissant que la vertu. Elle est la première source de la puissance et la seule source de la véritable puissance, si on admet que la véritable puissance est toujours la puissance de faire le bien.

Sans éthique pas de science, parce qu'il faut bien travailler pour produire du savoir et parce qu'on ne peut pas bien travailler sans éthique.

Un bon travail d'un chercheur de vérité peut être appelé un acte de vertu intellectuelle.

Un énoncé est un savoir si et seulement si il est produit par un acte de vertu intellectuelle.

Cette définition est présentée par Zagzebski dans Virtues of the mind (1996).

Les savants produisent du savoir parce qu'ils ont une vertu productrice de savoir, la vertu intellectuelle. Avec cette lapalissade on n'a évidemment encore rien expliqué, on a seulement nommé ce qu'on doit expliquer, l'existence de la vertu intellectuelle, de la capacité à trouver la vérité de façon fiable. Toute l'épistémologie est d'expliquer la vertu intellectuelle, dans toutes ses manifestations. L'épistémologie est la science de la vertu intellectuelle.

Des règles pour la direction de l'esprit

[modifier | modifier le wikicode]

Il est dans la nature de l'esprit de se donner des fins, qu'il poursuit, et des règles, qu'il applique, ou qu'il transgresse. Une règle peut être considérée comme une fin, la fin étant d'obéir à la règle. C'est une fin qu'on n'a jamais complètement atteinte, sauf si on meurt, parce qu'on peut toujours désobéir tant qu'on est vivant. Inversement, se donner une fin est une règle, la règle de poursuivre toujours la fin, tant qu'elle n'est pas atteinte. Un système de fins et de règles est un programme. Lorsque ses fins sont nobles, un programme est un idéal. Pour être de bons chercheurs de vérité, il faut se donner un idéal de la raison, un système de fins et de règles pour la direction de l'esprit, et le réaliser. Comme la raison nous demande de nous servir de la raison, l'idéal de la raison est un mode d'emploi de la raison.

Pourquoi se donner des règles ? En se donnant comme règle de faire tous ses pas dans la même direction, on va beaucoup plus loin qu'en marchant comme un ivrogne qui change de direction à chaque pas. Il en va de même pour tous les bons programmes. Ils nous rendent plus compétents, plus puissants, plus capables d'atteindre des objectifs éloignés.

La capacité à atteindre des fins dépend des règles que appliquons, parce que ces règles déterminent les chemins que nous suivons.

Nous pouvons nous donner un programme de recherche de programmes, en nous donnant des règles pour trouver des programmes. Un mode d'emploi de la raison est justement un programme de recherches de bons programmes, dignes de la raison.

Un idéal n'est pas toujours bon. Il peut être mauvais parce qu'il mêle de nobles fins avec d'autres qui le sont moins, ou parce qu'il est irréalisable et nous condamne alors à la frustration. Pour être réalisable, un programme doit toujours être adapté à la réalité, à la fois la réalité extérieure et la réalité intérieure, ce que nous sommes pour nous-mêmes. Pour nous donner de bons programmes, nous devons à la fois connaître les lois éthiques et les lois de la Nature. Les lois éthiques enseignent les devoirs et les fins qui méritent d'être poursuivies. Les lois de la Nature enseignent comment s'adapter à la réalité.

L'idéal donne à l'esprit sa puissance. La puissance d'un esprit est la puissance de son idéal. En particulier, un idéal du savoir donne à un esprit la puissance d'atteindre la vérité, donc la vertu intellectuelle.

Les Idées sont les grands concepts : la vérité, le bien, la beauté, la justice... Après Platon, on les appelle aussi les Formes. Comme tous les concepts, elles sont déterminées avec des lois. Une loi est comme un guide qui nous prescrit les chemins permis. On est guidé par les Idées quand on obéit à leurs lois.

La bonne parole montre la fin et le chemin pour l'atteindre. J'entends la voix et je vois la voie.

Qu'est ce qu'une preuve ?

[modifier | modifier le wikicode]

Pour savoir, il faut donner des preuves. Si on ne sait pas prouver ce qu'on avance, on ne sait pas, tout court. Un bon travail qui conduit à la vérité doit être en même temps une bonne preuve qu'elle est la vérité. Le chemin qui mène au savoir doit montrer qu'il est la vérité. Le processus de production du savoir est donc toujours une preuve qu'il est un savoir. Si un savant a bien travaillé en produisant la vérité, son travail est une bonne preuve de son résultat.

Un savoir est une vérité bien prouvée. Un énoncé est un savoir si et seulement si il est bien prouvé.

Une bonne observation est une bonne preuve. Le processus d'observation prouve la vérité de ce qui est observé. Inversement une bonne preuve est une bonne observation de la vérité de ce qui est prouvé.

Un énoncé est un savoir si et seulement si il est une bonne observation.

Un raisonnement est une preuve de la vérité de sa conclusion. Or une preuve est une observation de la vérité de qui est prouvé. Donc un raisonnement est une observation de la vérité de sa conclusion. Le raisonnement fait partie des techniques d'observation. « Les yeux de l'âme, par lesquels elle voit et observe les choses, ne sont rien d'autre que les preuves. » (Spinoza, Éthique, Livre V, prop. 23, Scolie). Une observation peut être la conclusion d'un raisonnement parce qu'un raisonnement peut faire partie d'un dispositif d'observation : on peut raisonner pour interpréter des observations et produire ainsi de nouvelles observations.

Une bonne preuve n'apporte pas toujours la certitude, parce qu'elle peut être bonne sans que nous soyons certains qu'elle est bonne. Par exemple une observation peut être bonne, parce qu'elle est produite par un bon dispositif d'observation qui a bien fonctionné en la produisant, mais le savoir ainsi produit n'est pas su avec certitude, parce que le dispositif d'observation est bon sans être infaillible.

Donner des preuves, c'est toujours inviter un esprit à prendre conscience qu'il est capable de savoir par lui-même. La preuve, si elle est vraiment bonne, est un chemin universel, un chemin qui montre à tous les esprits comment leurs propres ressources leur donnent les moyens de rejoindre la vérité. Donner des preuves est une forme de respect pour tous les esprits, c'est une façon d'honorer leur capacité à connaître la vérité.

Pour savoir, il faut savoir qu'on sait

[modifier | modifier le wikicode]

En mathématiques on sait toujours reconnaître si les raisonnements sont des bonnes preuves parce qu'il suffit de vérifier que les prémisses sont des axiomes ou des définitions et que les règles logiques ont été respectées. Plus généralement, une preuve qui ne montre pas clairement qu'elle est une preuve ne peut pas être une bonne preuve. Un théorème ne porte pas de marques visibles qu'il est un théorème, parce que le lire ne suffit pas pour savoir si oui ou non il est une conséquence des axiomes et des définitions. En revanche une preuve porte toujours des marques visibles qu'elle est une preuve, il faut qu'elle puisse être reconnue comme une preuve.

Un bon travail de production de la vérité doit toujours porter des marques apparentes qu'il est un bon travail. S'il ne peut pas être reconnu comme un bon travail, alors il n'est pas un bon travail. Cela fait partie du travail de montrer qu'il est un bon travail. Un tel travail ne peut pas être bon sans le montrer.

Pour être un bonne preuve, une preuve doit être flagrante. Un raisonnement qui ne montre pas qu'il est un bon raisonnement n'est pas un bon raisonnement. Un dispositif d'observation ne peut pas être bon sans montrer qu'il est bon. Si on ne peut pas observer qu'un dispositif d'observation est bon, alors il n'est pas bon. Une preuve qui n'est pas reconnue comme une bonne preuve n'est pas une bonne preuve. On a donc prouvé :

Un savoir doit être reconnu comme un savoir pour être su.

On peut donner plusieurs formulations équivalentes de ce principe : si on ne sait pas qu'on sait, alors on ne sait pas. Pour savoir, il faut savoir qu'on sait. Un énoncé est un savoir si et seulement s'il est reconnu comme un savoir. Un énoncé est un savoir si et seulement si l'observation qu'il est un savoir est un savoir. Une preuve est bonne si et seulement on a bien prouvé qu'elle est une bonne preuve. Un raisonnement est bon si et seulement si on a un raisonnement qui prouve qu'il est bon. Le savoir sur le savoir est une condition nécessaire du savoir. Mais ce principe est en général nié pour deux raisons :

  • Il exclut les formes irrationnelles du savoir. Pour répondre à cette objection, il suffit de préciser que le principe ne vaut que pour le savoir rationnel.
  • Il conduit à une régression à l'infini : pour savoir il faut savoir qu'on sait, il faut donc savoir qu'on sait qu'on sait, et ainsi de suite à l'infini. On croit souvent que cette suite infinie de savoirs est une régression qui nous empêche de toujours savoir qu'on sait, parce qu'on croit que des énoncés en nombre infini ne peuvent pas être tous sus en même temps par un esprit fini. Mais c'est se tromper sur la puissance d'un esprit fini.

Des énoncés en nombre infini ne peuvent pas être tous sus en même temps par un esprit fini. N'importe quelle loi générale est équivalente à un nombre infini d'énoncés. Connaître des énoncés en nombre infini n'est pas hors de notre portée, c'est ce que nous faisons tous les jours dès que nous énonçons une généralité.

'X est su à l'ordre 0' égale par définition 'X est su'. 'X est su à l'ordre n+1' égale par définition 'Que X est su à l'ordre n est su', pour tout nombre naturel n. Avec ces définitions, on peut affirmer que pour tout nombre naturel n, X est su à l'ordre n. Pour le savoir, il suffit de le prouver. Peut-on le prouver ?

- Comment le sais-tu ?

- Je l'ai bien vu.

- Comment sais-tu que tu sais parce que tu l'as bien vu ?

- C'est vrai par définition d'une bonne observation : pour tout X, si X est une bonne observation, alors X.

- Comment sais-tu que tu as bien vu ?

- J'ai conscience d'avoir bien vu. J'ai bien observé que j'ai bien vu.

- As-tu bien observé que tu as bien observé que tu as bien vu ?

- Oui, parce que la conscience de soi fait qu'une bonne observation est en même temps une bonne observation qu'elle est une bonne observation.

Puisque la conscience de soi fait qu'une bonne observation est équivalente à la bonne observation qu'elle est une bonne observation, X est su à l'ordre n si et seulement si X est su à l'ordre n+1, pour tout X et tout nombre naturel n. Pour prouver que X est su à l'ordre n pour tout nombre naturel n, il reste à prouver qu'il est su à l'ordre 0, donc qu'on a bien observé la vérité de X.

L'observation de tous les savoirs

[modifier | modifier le wikicode]

Pour qu'une observation soit une bonne observation, il faut avoir bien observé qu'elle est une bonne observation. Comment observe-t-on que nos observations sont bonnes ? Comment reconnaît-on le savoir ?

Un dispositif universel d'observation du savoir est un dispositif d'observation de tous les savoirs. Il doit observer pour tous les producteurs de vérité, ou les dispositifs producteurs de vérité, si oui ou non ils sont de bons producteurs, et s'ils ont bien travaillé, ou bien fonctionné, en produisant ce qu'ils proposent comme des vérités. Un tel dispositif peut-il exister ?

S'il existe, il est comme un soleil pour tous les esprits,  qui éclaire toutes les vérités qui nous sont accessibles. Il révèle tous les savoirs. Il montre en pleine lumière tout ce qui peut être su.

Une bonne observation qu'un savoir est un savoir est elle aussi un savoir. Un dispositif universel d'observation du savoir doit donc être capable de s'observer lui-même et de reconnaître si les observations qu'il produit sont bien produites. Est-ce possible ? Un bon dispositif universel d'observation du savoir qui observe qu'il est un bon dispositif universel d'observation du savoir peut-il exister ?

Supposons qu'un bon dispositif d'observation du savoir soit capable de s'observer lui-même, de reconnaître qu'il produit bien un bon savoir, et d'observer que X est un savoir. Alors ce dispositif peut reconnaître que X est su à l'ordre 0. De plus, s'il peut reconnaître que X est su à l'ordre n, il peut aussi reconnaître qu'il est su à l'ordre n+1, puisqu'il est capable de s'observer lui-même et donc de reconnaître qu'il reconnaît que X est su à l'ordre n. On peut alors conclure, avec le principe du raisonnement par récurrence, que pour tout nombre naturel n, ce dispositif peut reconnaître que X est su à l'ordre n.

La cohérence de toutes les vérités

[modifier | modifier le wikicode]

Pour savoir si un instrument d'observation est bon, on confronte ses résultats avec ceux d'un autre instrument d'observation qu'on suppose bon. Pour observer la qualité de nos observations, nous avons besoin d'observations de qualité. Faut-il en conclure que les bonnes observations sont impossibles ? Pour savoir qu'une observation est bonne, on a besoin de bonnes observations mais une observation ne peut pas être bonne si on ne sait pas qu'elle est bonne. Il semble que le processus de reconnaissance du savoir ne peut même pas démarrer.

Les dispositifs d'observation du savoir sont des dispositifs d'observation des dispositifs producteurs de vérité. Pour observer qu'un dispositif producteur de vérité est bon, on doit observer qu'il ne fait pas trop d'erreurs. Pour observer si oui ou non il fait des erreurs, on le confronte à un ou plusieurs autres dispositifs producteurs de vérité, parce qu'une même vérité peut être produite de nombreuses façons. Bien sûr on a besoin de bons dispositifs producteurs de vérité pour observer si un dispositif producteur de vérités est bon. Mais il n'y a pas pour autant de régression à l'infini, parce que la cohérence des résultats fournis par des dispositifs producteurs de vérité indépendants suffit pour établir qu'ils sont bons. Si on a observé que de nombreux dispositifs producteurs de vérité indépendants donnent la plupart du temps des résultats cohérents, il y a une chance infime que cette cohérence résulte du fonctionnement de mauvais dispositifs, on peut donc conclure que tous les dispositifs sont bons.  On obtient ainsi un critère d'observation des bons dispositifs producteurs de vérité :

Un dispositif producteur de vérité est bon s'il est élément d'un ensemble de dispositifs indépendants qui donnent des résultats cohérents la plupart du temps.

Des producteurs indépendants peuvent observer la cohérence des résultats obtenus par des producteurs indépendants. La cohérence des observations de la cohérence peut alors être observée. Le critère de la cohérence des producteurs indépendants peut ainsi être appliqué à lui même et il conduit alors à l'observation qu'il est un savoir.

Le Soleil qui éclaire tous les esprits

[modifier | modifier le wikicode]

L'épistémologie est le savoir de tous les savoirs. Elle donne à tous les moyens de bien observer tous les savoirs. Elle est le dispositif universel d'observation de tous les savoirs, le Soleil qui éclaire tous les esprits.

L'épistémologie est un savoir, donc un savoir d'elle-même,  puisqu'elle est le savoir de tous les savoirs. Si une théorie du savoir n'est pas capable de se reconnaître elle-même comme un savoir, alors elle n'est pas un savoir de tous les savoirs.

Une bonne preuve peut toujours être mise sous la forme d'un bon raisonnement, parce que si elle est vraiment une bonne preuve, il doit y avoir un bon raisonnement qui prouve qu'elle est une bonne preuve.

"Comment une activité dont on ne saurait rendre raison saurait-elle être une connaissance sûre ?" (Platon, Le Banquet, 202a, traduit par Luc Brisson)

Savoir sans être certain qu'on sait

[modifier | modifier le wikicode]

Si on a un bon dispositif producteur de vérités, si on croit aux vérités qu'il produit, et si on ne sait pas qu'il est un bon dispositif producteur de vérités, est-ce qu'on sait ou est-ce qu'on ne sait pas ?

Nous avons des organes sensoriels et un cerveau avec lesquels nous produisons des observations vraies. Mais il faut être savant pour savoir que la perception sensorielle produit la vérité. Si on croit que nos perceptions produisent la vérité sans le savoir, avons-nous un savoir ?

Si nous croyons que des vérités bien produites sont des vérités sans savoir qu'elles ont été bien produites, nous ne sommes pas différents d'un crédule qui croit n'importe quelle sottise débitée par un menteur, un escroc ou un charlatan, donc nous ne savons pas. Pour savoir, il faut savoir qu'on sait.

On peut savoir plus ou moins bien qu'on sait, parce que nos dispositifs d'observation du savoir peuvent être plus ou moins bons.

Si je crois que je sais parce que j'ai vu et bien vu, alors je sais et je sais que je sais, parce que ma capacité à reconnaître que j'ai bien vu, que de bonnes conditions d'observation ont été réunies, est un bon dispositif d'observation du savoir, même s'il n'est pas infaillible.

On ne peut pas savoir sans savoir qu'on sait, mais on peut ne pas très bien le savoir.

Si j'ai un bon dispositif D producteur de vérité, s'il a bien fonctionné en produisant la vérité, si j'ai en plus un bon dispositif D' producteur de vérité sur les producteurs de vérité, capable de reconnaître que D est un bon producteur de vérité, et capable de se reconnaître lui-même comme un bon dispositif producteur de vérité, alors je sais en sachant que je sais, mais si D' n'est pas infaillible, alors je sais sans être certain que je sais. On peut donc savoir sans être certain qu'on sait.

La certitude donne un sentiment de puissance, comme si nous n'avions besoin de personne d'autre que nous-mêmes pour savoir, comme si nous n'avions pas besoin de Dieu pour être puissant.

La certitude conduit à l'intolérance. Si j'ai un bon dispositif d'observation du savoir qui fournit des résultats certains alors je peux exclure tout ce qui ne respecte pas mes règles, tout ce qui ne passe pas mon test d'observation du savoir. Tout candidat au savoir que je ne reconnais pas comme un bon candidat est automatiquement exclu : va-t-en, tu n'as pas ta place dans le champ du savoir.

Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, est un dispositif universel d'observation du savoir, mais elle ne conduit pas à la certitude et à l'intolérance. Au contraire, elle impose la loi de l'hospitalité : nous ne connaissons pas par avance tous les bons principes et toutes les bonnes méthodes d'observation, et nous ne pouvons pas les connaître. La science est nécessairement imprévisible. Nous ne pouvons pas savoir avance ce qu'elle deviendra et comment nous la reconnaîtrons. Nos principes d'observation du savoir sont universels mais en général, ils ne donnent pas de réponse rapide et certaine. Il faut laisser le temps aux principes, aux hypothèses, aux théories et même aux dispositifs d'observation, pour qu'ils portent leurs possibles fruits. En face d'une nouvelle hypothèse, nous avons le devoir de l'accueillir. Un candidat au savoir n'est pas exclu, il est invité à montrer ses preuves. La certitude et l'intolérance conduisent à l'ignorance parce qu'elles nous empêchent d'observer correctement le savoir. Sans un esprit d'hospitalité, disposé à laisser venir toutes les formes de vérité, et à leur donner les moyens de nous révéler tout ce qu'elles peuvent révéler, on est incapable de reconnaître le savoir, et donc incapable de savoir.

Qu'est ce qu'un bon principe ?

[modifier | modifier le wikicode]

Un idéal de vérité est un programme de recherche de la vérité, un système de fins et de règles pour trouver la vérité, autant qu'on peut, qu'il faut et qu'il convient. Mais comment savoir qu'un idéal de vérité est un bon idéal, qu'il nous donne vraiment les moyens de connaître la vérité ?

Une théorie est un système de principes. Un principe est un axiome ou une définition. Les théorèmes de la théorie sont les conséquences logiques des axiomes et des définitions.

Un même énoncé peut être un principe d'une théorie et un théorème d'une autre théorie, parce qu'un principe peut être prouvé à partir d'autres principes.

Sans les principes, nos moyens naturels d'observation seraient les seules sources du savoir. Les principes nous rendent capables d'aller beaucoup plus loin. Les théories nous font connaître tous les mondes possibles et le monde actuel avant même qu'il soit actuellement observé, elles augmentent nos capacités d'observation du monde actuel, elles nous enseignent les fins qui méritent vraiment d'être poursuivies, comment acquérir du savoir et faire de bonnes théories. Les bons principes sont toujours des sources inépuisables de savoir. On peut aussi les voir comme des moteurs ou des fusées, parce qu'ils nous donnent de la puissance et qu'ils nous transportent jusqu'aux sommets les plus élevés du savoir.

Une théorie peut être considérée comme le programme d'un dispositif d'observation. On observe que des énoncés sont vrais en observant qu'ils sont des théorèmes, qu'ils sont logiquement prouvés à partir des axiomes et des définitions. Nos dispositifs d'observation sont en général faillibles, mais les bonnes théories font exception, parce qu'elles sont infaillibles si leurs axiomes sont vrais.

L'épistémologie est un idéal de vérité, une théorie qui est en même temps un programme d'observation de toutes les vérités, autant qu'on peut les connaître.

La conclusion d'un raisonnement est toujours vraie si les prémisses sont vraies. Les prémisses sont des principes ou des observations déjà faites. Pour que les théories et les raisonnements donnent du savoir, il faut donc que les principes soient vrais. Comment reconnaît-on la vérité des principes ?

La vérité sur un monde logiquement possible est déterminée par sa définition. Nous savons ce qu'ils sont parce qu'ils ne sont rien de plus que ce que nous disons qu'ils sont, comme si la parole précédait l'être. On n'a pas besoin d'observer le monde actuel pour connaître la vérité mathématique. Les axiomes et les définitions sont vrais par définition ou par construction des mondes logiquement possibles qu'ils nous font connaître.

Les principes d'une science de la Nature sont des lois fondamentales de la Nature, qu'on énonce avec des axiomes et des définitions. Les définitions sont vraies par définition, mais pas les axiomes. Comment reconnaît-on la vérité des lois fondamentales de la Nature ?

Les principes éthiques sont les lois fondamentales à partir desquelles on peut prouver toutes les lois que nous devons respecter pour vivre bien. Comment reconnaît-on la vérité des lois éthiques fondamentales ?

On reconnaît les bons principes à leurs fruits

[modifier | modifier le wikicode]

« Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » (Matthieu, 7:20)

« On y verra de ces sortes de démonstrations, qui ne produisent pas une certitude aussi grande que celles de Géométrie, et qui même en diffèrent beaucoup, puisque au lieu que les Géomètres prouvent leurs Propositions par des Principes certains et incontestables, ici les Principes se vérifient par les conclusions qu'on en tire; la nature de ces choses ne souffrant pas que cela se fasse autrement. Il est possible toutefois d'y arriver à un degré de vraisemblance, qui bien souvent ne cède guère à une évidence entière. Savoir lorsque les choses, qu'on a démontrées par ces Principes supposés, se rapportent parfaitement aux phénomènes que l'expérience a fait remarquer; surtout quand il y en a grand nombre, et encore principalement quand on se forme et prévoit des phénomènes nouveaux, qui doivent suivre des hypothèses qu'on emploie, et qu'on trouve qu'en cela l'effet répond à notre attente. Que si toutes ces preuves de la vraisemblance se rencontrent dans ce que je me suis proposé de traiter, comme il me semble qu'elles font, ce doit être une bien grande confirmation du succès de ma recherche, et il se peut malaisément que les choses ne soient à peu près comme je les représente. » (Christian Huyghens, Traité de la lumière, p.2)

Un principe doit porter des fruits pour être bon, il doit nous conduire à des vérités que nous n'atteindrions pas sans lui. Un principe est bon seulement s'il peut servir à bien produire la vérité. On reconnaît les bons principes à leurs fruits, le bon savoir qui nous aide à nous adapter à la réalité, à bien penser et à bien vivre.

La vérité des conséquences d'un principe ou d'un système de principes ne prouve pas la vérité des principes. A partir de B et Si A alors B on n'a pas le droit de déduire A. Mais si les conséquences d'un principe sont très régulièrement vérifiées, il est raisonnable de supposer que le principe est vrai et qu'il est la raison de la vérité de ses conséquences.

Les fruits peuvent être considérés comme des preuves que les principes sont bons, mais ils ne sont pas des preuves concluantes, parce que même des principe faux peuvent parfois porter des fruits. La reconnaissance des bons principes à partir de leurs fruits n'est pas infaillible, mais elle est quand même une bonne façon de reconnaître le savoir.

On reconnaît le savoir à partir des bons principes avec lesquels il est produit. On reconnaît les bons principes à partir du savoir qui peut être produit avec eux. Cette approche est circulaire. Pour reconnaître les bons principes, il faut reconnaître le savoir, mais pour reconnaître le savoir il faut reconnaître les bons principes. Ce cercle ne nous enferme pas parce que les bons principes ne sont pas les seuls critères du savoir. On reconnaît les bons principes quand ils nous aident à devenir de bons producteurs de vérités dans un ensemble cohérent de producteurs de vérité, une communauté d'esprits qui veulent un savoir qui nous aide à nous adapter à la réalité, à bien penser et à bien vivre, à devenir des esprits accomplis. Cette reconnaissance de l'accomplissement de l'esprit est plus fondamentale que la reconnaissance des bons principes, parce qu'on reconnaît les bons principes en reconnaissant qu'ils aident à notre accomplissement.

Comme l'éthique est le savoir sur le bien de l'esprit, elle est le savoir qui reconnaît les fruits de la raison, elle est par conséquent nécessaire pour reconnaître tous les principes des sciences. L'éthique est fondamentale pour toutes les sciences parce qu'elle nous apprend à la fois à bien travailler et à évaluer les fruits de nos travaux.

Le principe qu'on reconnaît les bons principes à leurs fruits est un critère d'observation des bons principes. Il porte des fruits à chaque fois qu'il nous aide à reconnaître les bons principes. Quand il est ainsi appliqué à lui-même, il conduit à l'observation qu'il est lui-même un bon principe. Les grands principes universels de la reconnaissance du savoir donnent les moyens de reconnaître tous les savoirs, y compris eux-mêmes.

Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, et de s'observer elle-même, est un dispositif universel d'observation du savoir. Elle a la puissance de reconnaître toutes les vérités, autant qu'elles nous sont accessibles.

L'observation des bons fruits et de la cohérence des résultats obtenus par des producteurs indépendants ne conduisent pas toujours à la certitude, mais ce n'est pas nécessaire, parce qu'un producteur de vérité peut être bon sans être infaillible.

La meilleure façon de penser est de mettre une vérité devant l'autre et de recommencer. C'est l'idéal cartésien du savoir. Il faut partir de vérités déjà connues et passer de vérité en vérité en respectant les règles du raisonnement logique. Les règles logiques garantissent qu'on passe toujours du vrai au vrai. Mais pour procéder ainsi il faut savoir que nos prémisses, les observations et les principes qu'on met au commencement de nos raisonnements, sont vraies. Or on ne sait pas toujours dès le commencement si nos principes sont bons. On ne sait parfois même pas si nos observations sont bonnes, parce qu'il faut de bons principes pour établir leur vérité. Puisqu'on reconnaît les bons principes à leurs fruits, il faut attendre la fin du travail pour reconnaître qu'ils sont vraiment bons. Au commencement ils sont seulement hypothétiques. La reconnaissance des bons principes n'est pas instantanée, elle résulte d'un long cheminement, parce qu'il faut laisser le temps aux principes de nous révéler leur vérité.

L'universalité des bons principes

[modifier | modifier le wikicode]

« Seul ce qui est enfin parfaitement déterminé est à la fois exotérique, concevable, susceptible d'être appris et d'être la propriété de tous. La forme intelligible de la science est la voie vers elle qui est ouverte et offerte à tous et rendue la même pour tous, et parvenir par l'entendement au savoir raisonnable est la juste exigence de la conscience qui vient rejoindre la science. » (Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Préface, p.XV, traduit par Jean-Pierre Lefebvre)

Dès que des bons principes sont reconnus, ils sont adoptés par tous ceux qui comprennent qu'ils rendent plus compétents, plus forts, plus lucides. S'ils sont vraiment bons, vraiment utiles, ils s'imposent naturellement à tous ceux à qui ils rendent service. En inventant ou en développant de bonnes théories avec de bons principes, on peut se rendre utile pour tous les esprits. Les fruits de la raison sont universels. Les bonnes observations, les bons principes et les bons raisonnements sont toujours bons pour tous les esprits. Si un esprit peut récolter les fruits de bons principes, alors tous les esprits peuvent récolter les mêmes fruits. Quand on cherche des bons principes, on cherche un bien pour tous les esprits, on met en pratique le grand principe de l'éthique, que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits. La raison est un bien pour tous les esprits. Si on défend, si on enseigne ou si on illustre la raison, on fait le bien pour tous les esprits.

Les grands principes nous révèlent la puissance de la raison. Ils donnent à tous les esprits les moyens d'acquérir tous les savoirs, de comprendre tous les esprits et de révéler tous les bienfaits de la raison. En apprenant ce que les grands principes nous enseignent, nous apprenons du même coup que nous pouvons penser pour le bien de tous les esprits. Être bon pour tous les esprits n'est pas un idéal inaccessible. C'est la réalité de la pensée rationnelle.

Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous esprits conduit à un critère de reconnaissance de tous les savoirs, parce qu'une science ne peut pas être une science sans être un bien pour tous les esprits. En sachant que le savoir rationnel doit être un bien pour tous les esprits, nous avons le savoir fondamental qui donne les moyens de reconnaître tous les savoirs.

Que la raison est un bien pour tous les esprits a comme conséquence l'universalité de la critique. Quand on prétend offrir un savoir, toutes les objections doivent être accueillies. Un esprit est toujours en droit de faire partager son insatisfaction, parce qu'il est lui-même un critère de reconnaissance du bon savoir, parce que le bon savoir doit l'aider à bien penser et à bien vivre pour être vraiment bon. Une prétention à la science qui n'offre pas son hospitalité à toutes les critiques renie la science et la raison. Pas de science sans liberté critique. C'est une des règles les plus fondamentales du développement des sciences.

Pour qu'un savoir puisse être partagé, il faut qu'il puise seulement dans des ressources communes, accessibles à tous. On pourrait croire que c'est une limite très restrictive, qu'en se privant de ressources privées, on se prive du même coup du meilleur du savoir, mais c'est l'exact contraire qui est vrai. Nos intelligences sont les plus puissantes justement quand elles se limitent aux ressources communes. C'est en nous entraidant que nous découvrons le mieux le pouvoir de nos intelligences, que nous développons les meilleurs savoirs et que nous faisons vivre la raison.

Qu'est-ce qu'une explication ?

[modifier | modifier le wikicode]

Les causes et les lois

[modifier | modifier le wikicode]

Quand on sait que c'est, on ne veut pas seulement savoir que c'est, on veut aussi savoir pourquoi c'est. Mais y a-t-il un pourquoi ? Pourquoi y aurait-il un pourquoi ? Et pourquoi vouloir le connaître ?

Un ensemble de vérités atomiques détermine complètement un univers, un monde, une totalité, mais il ne dit pas pour autant toute la vérité sur ce monde. Même si on connaissait toutes les vérités atomiques de l'Univers on ne le connaîtrait pas très bien, parce qu'un ensemble de vérités atomiques est comme un savoir désintégré, qu'on a réduit à ses plus simples éléments. On veut plus et mieux que ce savoir en miettes, sans rime ni raison.

Dire pourquoi, c'est dire les causes.

"la connaissance du pourquoi, c'est à dire de la cause" (Aristote, Métaphysique A, 981a 30)

"ceux qui enseignent sont ceux qui, sur chaque sujet, énoncent les causes." (idem 982a 30)

Comment connaît-on les causes ? Y a-t-il vraiment des causes à connaître ?

Si X est une cause de Y, l'affirmation que X est toujours une cause de Y est toujours une loi. Pour connaître les causes, il faut connaître les lois. Une explication est toujours un raisonnement fondé sur des lois. On a donc besoin de connaître les lois pour donner les explications qui font le véritable savoir.

Les causes ont des causes. Faut-il craindre une régression à l'infini quand on cherche les causes ?

L'explication de la nécessité ou de la possibilité ne conduit pas à une régression à l'infini, parce qu'on s'arrête à des lois fondamentales, à partir desquelles on explique toutes les autres. Avec les lois fondamentales, on peut expliquer toutes les possibilités et toutes les nécessités, parce qu'elles déterminent tout ce qui est possible et tout ce qui est nécessaire.

Les lois fondamentales sont les raisons d'être de tout ce qui est, même des lois fondamentales. On explique les lois fondamentales à partir d'autres lois fondamentales, et à partir d'elles-mêmes.

Pour expliquer le monde actuel, il faut d'abord expliquer pourquoi il est possible, en montrant qu'il est permis par les lois de la Nature. Mais ce n'est pas suffisant, parce que le monde actuel est contingent. Les lois de la Nature ne suffisent pas pour le déterminer. Elles n'interdisent pas qu'il puisse être autre que ce qu'il est.

On explique une contingence de la même façon qu'on explique une nécessité, en cherchant des conditions dont elle est une conséquence nécessaire, mais les conditions ne peuvent pas être toutes nécessaires, parce qu'une conséquence nécessaire de conditions nécessaires est elle aussi nécessaire. Une au moins des conditions doit être contingente. On explique toujours les contingences à partir d'autres contingences. Quand on explique les contingences, il y a donc nécessairement une régression à l'infini dans la recherche des causes. Les lois expliquent la fatalité, l'enchaînement nécessaire des contingences, depuis la nuit jusqu'à la fin des temps.

La raison : preuve ou explication ?

[modifier | modifier le wikicode]

« il disait que l'opinion vraie accompagnée d'une raison (logos) est science, tandis que celle qui est dépourvue de raison est en dehors de la science; et ce dont il n'y a pas de raison n'est pas sachable - tel est le mot qu'il forgeait - tandis que ce qui en a une est sachable. » (Platon, Théétète 201d)

La raison est le logos. Dans la définition de la science donnée par Platon (Théétète 201d , Ménon 98a) logos peut être traduit par raison, explication, justification ou preuve.

Une bonne preuve peut être aussi une bonne explication, parce qu'elle donne des raisons de ce qui est. Une bonne explication peut être aussi une bonne preuve, parce qu'elle donne des raisons suffisantes de ce qui est. Mais preuve et explication sont orientées différemment. Une preuve cherche la certitude, autant qu'il est possible, alors qu'une explication cherche la clarté, en nous donnant les raisons de l'être. Une bonne explication doit nous éclairer, et parfois elle nous illumine.

Une bonne preuve peut ne pas être une bonne explication, si elle prouve la vérité de ce qui est, avec certitude ou presque, sans donner les raisons fondamentales qui font qu'il est ce qu'il est. Une bonne explication peut ne pas être une bonne preuve, si elle donne les principales raisons de ce qui est, sans donner des raisons suffisantes pour prouver qu'il est.

L'explication de toutes les explications

[modifier | modifier le wikicode]

"Ce qui est incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible." (Albert Einstein, Physique et réalité, 1936)

Comprendre est toujours comprendre des explications. Inversement, une explication doit nous éclairer, donc nous aider à comprendre.

S'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas de vérité des attributions, il n'y aurait donc pas de concept. S'il n'y avait pas de concept, il n'y aurait pas d'être, parce que pour être, il faut avoir des propriétés et des relations. Donc s'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas d'être.

Il y a toujours des explications pour tout, parce qu'il n'y a pas d'être sans loi. Qu'il n'y a pas d'être sans loi est une loi qui explique l'existence de toute les explications de tous les êtres. On peut donc expliquer et comprendre pourquoi l'être peut toujours être expliqué et compris.

L'illumination par l'imagination

[modifier | modifier le wikicode]

"Je comprends un être si je sais le fabriquer" (Fred Dretske, conférence à la bibliothèque de Lyon)

L'auteur d'une fiction est comme un démiurge, un créateur de monde. Il donne l'être par la parole. Il donne la vie à ses personnages en disant qu'ils sont et ce qu'ils sont.

Pour comprendre un être matériel, il faut savoir de quoi il est fait. On peut le fabriquer en imagination si on connaît la nature des constituants et leurs positions relatives, comme un ingénieur ou un architecte qui dessine les plans d'une construction. On peut déduire les lois du mouvement du système à partir des lois du mouvement des constituants. Si on connaît les lois du mouvement d'un être, on peut imaginer tous ses mouvements possibles, comme si on était un créateur de tous les mondes possibles dans lesquels il peut être .

On explique tous les êtres de l'Univers et l'Univers lui-même si on est capable de les fabriquer en imagination, donc de faire des modèles.

Imaginer est toujours imaginer qu'on est un autre, en un autre lieu, à un autre temps ou dans un autre monde. On comprend un autre esprit en se mettant à sa place, en imaginant qu'on est lui. On fait comme si on pensait ce qu'il pense, on voulait ce qu'il veut, on ressentait ce qu'il ressent, on percevait ce qu'il perçoit, on faisait ce qu'il fait, on imaginait ce qu'il imagine. « Rien de ce qui est humain ne m'est étranger. » (Térence, Heautontimoroumenos, v. 77)

On comprend un concept quand on sait comment l'attribuer à tous les êtres possibles pour lesquels il est vrai. La connaissance des lois donne les moyens d'observer ainsi la présence du concept dans le monde actuel et dans tous les mondes possibles. C'est comme avoir fabriqué en imagination un détecteur du concept.

La connaissance des lois donne à l'imagination sa puissance. Quand on connait les lois, on peut imaginer tous les mondes possibles comme si on était leur créateur.

On explique une loi en montrant qu'elle est une conséquence de lois plus fondamentales. C'est comme imaginer qu'on est un législateur qui justifie toutes les lois à partir des plus fondamentales. Pour imaginer qu'on est un législateur, il faut connaître les lois de la législation, les lois des lois. Quand on connait les lois des lois, on est comme un législateur et un créateur de tous les mondes possibles.

S'il est guidé par les Idées

Le rêve élève. Il est la sève

Grâce au délire de mes désirs

Je vais sur les chemins du vrai

Je pense l'abstrait et le concret

Je trouve la substance et le sens

J'imagine et je m'illumine

Le songe me rend ivre de vivre