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Mémoire/La mémoire au niveau des neurones : plasticité et consolidation synaptique

Un livre de Wikilivres.

Si le cerveau est le siège de la mémoire, cela ne nous dit pas comment il fait pour retenir nos souvenirs, comment il mémorise nos leçons de mathématiques, comment il mémorise nos apprentissages moteurs, etc. Pour cela, il faut descendre un niveau en dessous, et regarder de quoi est fait le cerveau.

Les neurones et les potentiels d'action

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Schéma d'un neurone typique, avec axone et dendrites.

Comme tous les autres organes, le cerveau est composé de cellules. Les cellules du cerveau sont regroupées en deux types : les cellules gliales et les neurones. Les neurones sont les cellules cérébrales par excellence, celles qui sont chargées de toutes les fonctions qu'on attribue au cerveau. Elles ont des propriétés électriques très particulières, qui leur permettent de propager l'influx nerveux et de communiquer entre elles par des signaux chimiques et électriques. Il existe un grand nombre de neurones différents, qui se différencient par leur taille, leur forme, ou quelques autres paramètres. Mais tous ces neurones gardent malgré tout des points communs quant à leur forme. La forme d'un neurone classique est illustrée ci-contre. On voit que le neurone émet un prolongement tubulaire, appelé l'axone, et plusieurs excroissances appelées dendrites. Les cellules gliales sont de simples cellules de soutien pour les neurones, qui apportent de la nourriture aux neurones, gèrent l'équilibre chimique du cerveau, etc. Certaines ont un rôle dans la communication électrique entre neurones, mais nous verrons cela dans ce qui suit.

Les neurones échangent des informations sous forme d'influx nerveux, des sortes de "courants électriques" qui passent de neurone en neurone et se propagent à travers tout le système nerveux. Le neurone reçoit ces influx nerveux à partir d'autre neurones sur ses dendrites. Le neurone fait la somme de tous les influx nerveux qui arrivent sur ses dendrites à un instant donné et compare le total à une valeur seuil. Si cette somme dépasse un seuil fixé à l'avance, alors celui-ci émet un nouvel influx nerveux sur son axone, à destination d'autres neurones. Dans le cas contraire, il n'émet rien.

Description fonctionnelle du fonctionnement d'un neurone
Potentiel d'action

L'influx nerveux n'est pas un simple courant électrique, mais est en réalité une variation de la tension électrique de la surface/membrane du neurone. Lorsque le neurone ne fait rien, une tension d'environ -70 millivolts est présente sur sa membrane. Lorsqu'un influx nerveux passe, cette tension augmente localement. Cette augmentation locale de la tension électrique est appelée un potentiel d'action. Tous les potentiels d'action ont exactement la même forme, la même intensité, la même amplitude. L'information n'est pas encodée dans le cerveau par la grandeur des amplitudes, mais par leur fréquence. Par exemple, la luminosité d'un endroit de la rétine sera transmise par une suite d'influx nerveux d'autant plus rapides et nombreux que la luminosité est élevée. Les potentiels d'action ressemblent tous à ce qui illustré ci-contre. Pour simplifier, la tension monte durant un certain temps, avant de devenir légèrement inférieure à son point de départ, puis revient à la normale.

Le potentiel d'action est produit par un échange d'ions (des particules chargées électriquement) entre l'intérieur et l'extérieur du neurone, à travers sa membrane. La membrane sépare l’intérieur du neurone de l'extérieur. Entre l'intérieur et l'extérieur, il y a un déséquilibre concernant le nombre de certains ions : par exemple, on aura plus de potassium à l'intérieur qu'à l'extérieur. C'est ce qui explique le potentiel de repos de -70 millivolts. Pour créer un potentiel d'action, la membrane du neurone contient des canaux ioniques, qui peuvent s'ouvrir et laisser rentrer certains ions. Lors de l'initiation d'un potentiel d'action, ces canaux ioniques vont s'ouvrir. Ils s'ouvrent typiquement quand la tension à la surface d'un neurone dépasse le fameux seuil mentionné plus haut. Du potassium va alors rentrer dans le neurone, augmentant la tension de surface : la tension monte. Puis, ces canaux vont se fermer et des canaux sodium vont alors s'ouvrir, faisant fuir le sodium du neurone : la tension s'abaisse en réaction. Enfin, les canaux se ferment et l'équilibre revient.

Génération d'un potentiel d'action par échange d'ions à travers la membrane du neurone.

Un potentiel d'action se propage à la surface du neurone, typiquement sur l'axone de ce dernier. Une fois arrivé au bout de l'axone, il a la possibilité de passer d'un neurone à un autre, comme on le verra plus bas.

Propagation d'un potentiel d'action à la surface d'un axone.

Les synapses neuronales

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Ces neurones sont reliés entre eux par ce qu'on appelle des synapses. Les synapses peuvent relier les neurones entre eux de diverses façons : un axone se connecte à une dendrite, deux dendrites se connectent entre elles, un axone se connecte au corps cellulaire d'un neurone, un axone émet des hormones dans le sang, etc. Mais dans la majorité des cas qui vont nous intéresser, les synapses vont connecter l'axone d'un neurone aux dendrites d'un autre. Le neurone qui émet l'axone est appelée le neurone pré-synaptique, alors que la dendrite appartient au neurone post-synaptique.

On pourrait croire que la connexion permet aux ions de passer d'un neurone à un autre, ce qui permettrait un transfert direct du potentiel d'action d'un neurone vers un autre. Il existe effectivement des synapses de ce genre, où les membranes des deux neurones sont collées l'une contre l'autre et où des ouvertures permettent le passage des ions d'un neurone à l'autre. Ainsi, les ions générés par les potentiels d'action peuvent directement passer dans l'autre neurone. La conduction est alors électrique : le premier neurone envoie un courant d'ions dans l'autre neurone. Mais ces synapses électriques sont particulièrement rares dans le système nerveux et ne sont qu'une infime minorité que l'on peut facilement passer sous silence. Elles sont surtout présentes dans des endroits très spécifiques, mais sont quasiment absente du cerveau.

Les synapses qui vont nous intéresser sont des synapses chimiques, ou les deux neurones communiquent en échangeant un intermédiaire chimique. Avec ce type de synapse, les deux neurones sont séparés par un vide qui sépare les deux neurones : la fente synaptique. La communication s'effectue alors par l'intermédiaire de substances chimiques déversées par le neurone émetteur dans la synapse, que l'on appelle des neurotransmetteurs. Il existe un grand nombre de neurotransmetteurs : dopamine, sérotonine, glutamate, acétylcholine, histamine, adrénaline, noradrénaline, etc. Suivant les neurones, les neurotransmetteurs produits peuvent varier, et certains neurones ne produisent qu'un seul type de neurotransmetteurs. Tout neurone contient des stocks de neurotransmetteurs, qui se régénèrent relativement rapidement. Ces stocks sont de petites capsules qui contiennent toutes la même quantité de neurotransmetteurs, on les appelle des vésicules synaptiques.

Lorsqu'un potentiel d'action arrive sur la synapse, les canaux ioniques vont s'ouvrir et faire rentrer du calcium dans la cellule. Ce calcium va alors déclencher toute une série de réactions chimiques qui vont faire fusionner les vésicules synaptiques avec la paroi de la cellule : les neurotransmetteurs vont alors diffuser à travers la fente synaptique. Ces substances chimiques, les neurotransmetteurs, vont alors parcourir l'espace qui sépare les deux neurones, et vont aller agir sur le neurone récepteur, celui-ci déclenchera un potentiel d'action. Cette action à distance est possible parce que la membrane du neurone récepteur contient des récepteurs, capables de détecter la présence d'un neurotransmetteur. Ces récepteurs sont souvent spécifiques à un neurotransmetteur bien particulier, et ne peuvent détecter qu'un ou deux neurotransmetteurs bien précis. Par exemple, certains récepteurs seront sensibles à la dopamine, mais pas à la sérotonine ou au glutamate.

Schéma d'une synapse chimique.

Les récepteurs synaptiques sont plus ou moins reliés à des canaux ioniques : quand un neurotransmetteur est détecté, le récepteur va agir sur un ou plusieurs canaux ionique, qui s'ouvrira. Si le neurone émetteur envoie suffisamment de neurotransmetteur, un grand nombre de canaux ioniques s’ouvriront et un potentiel d'action sera généré. Ces récepteurs peuvent se classer en deux types : les récepteurs ionotropiques et les récepteurs métabotropes.

  • Avec les récepteurs ionotropiques, le récepteur et le canal ionique ne font qu'un : les deux sont fusionnés dans une seule molécule. Quand le neurotransmetteur se fixe sur le récepteur, cela va changer de forme, et se déformer : il s'ouvrira et laissera les ions passer.
  • Avec les récepteurs métabotropes, le récepteur est physiquement séparé des canaux ioniques, et doit agir sur eux avec l'aide d'un intermédiaire. Cet intermédiaire est le plus souvent une protéine.
Schéma d'un récepteur ionotrope.

La plasticité cérébrale : le mécanisme neuronal de la mémoire

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À eux seuls, les neurones et synapses permettraient d'expliquer le fonctionnement de la mémoire. La mémoire est simplement basée sur la structure des réseaux de neurones. Tout ce qui est dans notre mémoire serait stocké sous la forme de liaisons entre neurones, par les synapses. Tout apprentissage laisserait une trace quelconque dans les réseaux de neurones de notre cerveau, que ce soit en ajoutant des synapses, en en supprimant, en modifiant l'efficacité de certaines synapses, etc. Les modifications laissées dans le cerveau après un apprentissage sont mal comprises. Toujours est-il que les scientifiques ont donné un nom au substrat biologique d'un souvenir quelconque, au réseau de neurones qui mémorise ce souvenir : l'engramme.

La plasticité à court et à long terme

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Les réseaux de neurones du cerveau peuvent se modifier à tout moment. Cette capacité de modification est ce qu'on appelle la plasticité synaptique. Elle est supposée être responsable de tout apprentissage et est donc la base de la mémoire humaine. Pour ce qui est de la durée, certaines formes de plasticité synaptique n'agissent que sur un temps très court, alors que d'autres permettent des apprentissage permanents. On distingue donc la plasticité à court-terme et à long-terme.

  • La plasticité à court-terme agit sur une durée de quelques millisecondes à quelques minutes, guère plus. Elle n'a pas de conséquences durables et n’entraîne pas d'apprentissage permanent. Elle est impliquée dans les apprentissages non-associatifs, à savoir l'habituation et la sensibilisation à court-terme. Ce qui fait que nous verrons ces formes de plasticité dans les chapitre sur les apprentissage non-associatifs.
  • La plasticité à long-terme a des conséquences durables et cause des apprentissages permanents. Elle implique systématiquement des changements liés aux récepteurs synaptiques ou la formation/destruction de synapses. C'est elle qui est responsable de la mémoire proprement dit.

Pour faire simple, la majorité des phénomènes de plasticité à long-terme sont des variantes de ce que l'on appelle la règle de Hebb : si deux neurones émettent des influx nerveux à peu près en même temps, la synapse qui les relie se renforce.

Les mécanismes de la plasticité synaptique

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Toujours est-il que mémoriser demande de modifier des synapses. Cela peut se faire de deux grandes manières : ajouter/retirer des synapses, ou modifier l'efficacité de synapses existantes. Les deux mécanismes sont possibles dans le cerveau humain. Il est prouvé que des synapses peuvent apparaître ou disparaître, de même que l'on a observé des variations d'efficacité des synapses. Cela permet de distinguer une plasticité structurale et une plasticité moléculaire.

  • La plasticité synaptique structurale implique la formation ou la destruction de nouvelles synapses : de nouvelles synapses se créent, des synapses inutilisées meurent, des dendrites se développent, des axones se rétractent ou grandissent, etc. Il est difficile de rentrer dans le détail sans faire un cours de neuroscience proprement dit. Nous n'en parlerons donc pas plus que cela dans ce cours.
  • La plasticité synaptique moléculaire entraîne une variation d'efficacité des synapses. Elle est liée aux neurotransmetteurs et aux récepteurs synaptiques.

La plasticité moléculaire peut agir soit sur les neurones post-synaptiques, soit sur les neurones pré-synaptiques. Au niveau pré-synaptique, le neurone devient capable d'émettre plus de neurotransmetteurs qu'avant, ou au contraire il en émet moins qu'avant. Précisons que ces mécanismes entraînent une plasticité à court-terme uniquement, ce qui fait que nous n'en parlerons pas ici. Ce qui va nous intéresser est la plasticité moléculaire au niveau du neurone post-synaptique, qui est une plasticité de long-terme.

Cette dernière implique une variation de la sensibilité aux neurotransmetteurs. Deux mécanismes principaux permettent cela : soit les récepteurs deviennent plus efficaces eux-mêmes, soit le nombre de récepteurs synaptiques varie. La première possibilité est la moins courante. Ses mécanismes sont spécifiques à la voie de transduction considérée et il est difficile de donner des généralités dessus, ce qui fait que nous n'en parlerons pas en détail. La seconde possibilité est une modification du nombre de récepteurs synaptiques. Le nombre de récepteurs peut augmenter ou diminuer, rendant le neurone plus ou moins sensible au neurotransmetteur. Par exemple, le neurone peut se désensibiliser suite à une stimulation répétée, en réduisant le nombre de récepteurs synaptique. Ou à l'inverse, il peut se sensibiliser à un neurotransmetteur en ajoutant des récepteurs à sa surface.

L'ajout ou le retrait de récepteurs synaptiques sur la membrane des neurones a lieu sur la membrane du neurone post-synaptique. On parle de downregulation si le nombre de récepteurs diminue, et d'upregulation si le nombre de récepteurs synaptiques augmente. Un neurone down- ou up-régule ses récepteurs quand il est régulièrement soumis à des doses trop fortes ou au contraire trop basses de neurotransmetteurs. Par exemple, prenons le cas des récepteurs à la dopamine. Plus un neurone est soumis à de fortes doses de dopamine, plus il réduira le nombre de ses récepteurs à la dopamine. Ce faisant, le neurone devient moins sensible à la dopamine. C'est en partie pour cette raison que les médicaments qui augmentent la quantité de dopamine synaptique deviennent de moins en moins efficaces avec le temps. On dit qu'ils entraînent l'apparition d'une tolérance, qui se développe en quelques jours, le temps que les récepteurs à la dopamine disparaissent de la surface des neurones dopaminergiques.

Le lien entre temporalité et mécanisme de la plasticité synaptique

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La plasticité synaptique à long-terme est la seule à impliquer une plasticité structurale. Modifier la morphologie d'une synapse ne se fait pas en quelques minutes. Cela prend du temps, plusieurs minutes, plusieurs jours, ce qui est incompatible avec la plasticité de court-terme. Par contre, une plasticité à long-terme a de bonnes chances d'impliquer la formation de nouvelles synapse, la création d'épines dendritiques, de boutons axonaux, etc. Cependant, il ne faut pas croire que la plasticité moléculaire ne joue pas, bien au contraire. Au niveau moléculaire, la plasticité à long-terme implique des modifications permanentes des récepteurs synaptiques. Pour faire le lien entre plasticité à long/court terme et plasticité moléculaire/structurale, voici un tableau qui résume le tout.

Plasticité moléculaire Plasticité structurale
Neurone pré-synaptique Plasticité de court-terme Plasticité de long-terme
Neurone post-synaptique

La consolidation synaptique

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Immédiatement après un apprentissage, un souvenir ou une connaissance nouvellement formé est dans un état fragile, sensible aux interférences ultérieures et à l'oubli. Immédiatement après la mémorisation, un processus de consolidation va se mettre en place. Ce processus immunise les connaissances apprises contre l'oubli. La consolidation consiste en un renforcement des synapses liées aux connaissances apprises, d'où son nom de consolidation synaptique. Elle dure environ une heure.

En savoir plus

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Pour en savoir plus, je vous renvoie au cours de Neuroscience, écrit par le même auteur, dans le chapitre sur la plasticité synaptique. Attention, cependant : la lecture de ce chapitre devrait idéalement se faire après avoir lu les premiers chapitres du cours de neuroscience, notamment le chapitre sur les synapses. Voici le lien :