La politique monétaire/Le marché monétaire
Pour atteindre ses objectifs, la banque centrale doit créer de la monnaie et échanger celle-ci avec les banques commerciales, que ce soit pour en retirer ou pour en injecter dans l'économie. Ces échanges s'effectuent sur le marché monétaire, un marché où les intervenants peuvent se prêter ou emprunter de la monnaie. Les intervenants en question sont très divers : les banques commerciales, la banque centrale, les trésors publics nationaux, les assureurs, les établissements de crédit, etc. En contrepartie du prêt, la banque emprunteuse va donner au créditeur un ensemble d'actifs financiers appelé collatéral. Ces prêts ont une durée inférieure à deux ans, les durées les plus communes étant de quelques jours à quelques mois.
Les prêts sur le marché monétaire impliquent fatalement un ou plusieurs taux d'intérêt, appelés taux d’intérêt interbancaires. Généralement, les taux d'intérêt sur le marché monétaire guident les taux à plus long-terme, les banques répercutant ces taux d'emprunt sur les crédits qu'elles accordent aux particuliers. Influencer le taux interbancaire permet ainsi de manipuler, dans une certaine mesure, le développement du crédit et donc la croissance de la masse monétaire. Dans la suite du chapitre, on verra que ce taux sont influencés par les taux directeurs.
Dans la zone euro, les taux à court-terme sur le marché monétaire sont mesurés au jour le jour par divers indicateurs. Le premier est l'EONIA, le taux moyen des prêts d'une durée égale ou inférieure à la journée. Celui-ci est calculé sur la base des taux demandés par les différentes banques. Tous les jours, les banques commerciales indiquent à quel taux elles souhaitent prêter ou emprunter sur le marché monétaire. Les quatre valeurs les plus élevées et les plus faibles sont négligées, les autres valeurs servant dans le calcul de la moyenne. L'EURIBOR est un ensemble de taux similaires à l'EONIA, si ce n'est qu'ils portent pour les prêts d'une durée égale respectivement à 1, 2, 3 semaines et 1, 2, 3, .. , 12 mois.
D'ordinaire, les banques préfèrent emprunter à une autre banque commerciale au lieu de faire appel à la banque centrale, pour diverses raisons un peu obscures. Mais il arrive que certaines banques ne puissent pas trouver assez de réserves chez les autres banques. Ces dernières peuvent refuser de prêter à une banque trop risquée et endettée, par exemple. Les banques très risquées, qui risquent de faire faillite, peuvent cependant demander des prêts de la dernière chance à la banque centrale. La banque centrale est ainsi un préteur de dernier ressort.
Les prêts de dernier ressort sont monnaie courante quand le marché monétaire dysfonctionne complètement. Lorsque cela arrive, les banques n'aient pas accès à suffisamment de liquidité sur le marché monétaire ou refusent de se prêter entre elles. C'est notamment ce qui est arrivé suite à la crise financière de 2008, où les banques considéraient que les prêts sur le marché monétaire étaient trop risqués. La banque centrale a alors dû jouer son rôle de préteur de dernier ressort et a fourni la totalité de la liquidité du marché monétaire suite la crise. Mais ces prêts de dernier ressort ne permettent pas toujours aux banques de survivre. Tel a été le cas de Lehman Brothers, qui n'avait pas assez de collatéral pour obtenir un prêt de dernier ressort, ce qui entraîna sa faillite. Faillite qui déclencha la crise de 2008, mais cela est une autre histoire !
Les taux directeurs
[modifier | modifier le wikicode]Dans les chapitres précédents, nous avons beaucoup parlé du taux directeur de la banque centrale. Mais dans la réalité, il existe plusieurs taux directeurs différents, qui jouent chacun un rôle assez précis dans la conduite de la politique monétaire. Dans cette section, nous allons voir à quoi correspondent ces taux directeurs.
Pour commencer, rappelons que la banque centrale est la banque des banques commerciales. Elle leur fournit la même gamme de service que ce que font les banques commerciales auprès du grand public. Les banques commerciales peuvent ouvrent un compte courant à la banque centrale, un "livret d'épargne" ou des comptes à termes, et peuvent même y emprunter. Le compte courant est là où les banques commerciales parquent leurs réserves obligatoires et excédentaires, en attendant de les utiliser (pour des prêts, pour les placer ou faire des virements à une autre banque). Certaines banques centrales fournissent aussi un équivalent aux comptes à terme, qui permet aux banques de rémunérer leurs liquidités excédentaires, plutôt que de les laisser dormir sur leur compte courant. En zone euro, ce livret/compte à terme de la banque centrale s'appelle les facilités de dépôts. Les liquidités sont cependant placées sur une durée très courte, à peine 24 heures, voire quelques semaines tout au plus. Enfin, les banques commerciales peuvent emprunter des liquidités à la banque centrale, moyennant intérêt. La banque centrale manipule le marché monétaire en utilisant deux types de taux : le taux d'emprunt et le taux de placement (sur les facilités de dépôt).
Les taux d'emprunt auprès de la banque centrale
[modifier | modifier le wikicode]La banque centrale peut prêter des réserves aux banques commerciales, avec un système de repos ou d’opération d'Open Market. Le taux d’intérêt des prêts d'une banque centrale est appelé taux directeur. Aux états-unis, la banque centrale utilise plusieurs taux directeurs. Dans les grandes lignes, la réserve fédérale dispose de plusieurs guichets, auxquels les banques commerciales peuvent emprunter, qui correspondent chacun à des durées de prêts plus ou moins longues. Le guichet pour les prêts d'une journée correspond au taux directeur, d'autres guichets étant accessibles à des taux supérieurs. Le taux le plus élevé demandé est appelé le taux d'escompte. Dans la zone euro, ces prêts sont gérés par un système d'appel d'offre relativement complexe, pour deux maturités différentes.
- Le premier appel d'offre porte sur des prêts d'une durée de deux semaines. Chaque banque peut ainsi emprunter des réserves toutes les semaines, à condition que celle-ci rembourse son prêt précédent. Le taux lié à cet appel d'offre est appelé taux de prêt marginal.
- À côté, la banque centrale gère un second guichet pour des prêts quotidiens, d'une durée de un jour maximum. Le taux lié à ces prêts est appelé le taux de refinancement. Le taux de refinancement est toujours inférieur au taux de prêt marginal, de par leurs maturités différentes.
Le taux de rémunération des réserves
[modifier | modifier le wikicode]Outre les taux précédents, la banque centrale peut rémunérer ou non les réserves et les facilités de dépôt, avec des intérêts, suivant ses objectifs de politique monétaire. Le taux d'intérêt de la banque centrale sur les réserves est appelé le taux de rémunération des dépôts. Comme dans les banques commerciales, le taux sur les placements à la banque centrale est plus faible que le taux d'emprunt. Sans cette contrainte, les agents emprunteraient à un taux faible pour placer l'emprunt sur les facilités de dépôts fortement rémunérées.
Les réserves sont un coût d'opportunité pour les banques : elles pourraient être prêtées ou servir à acheter des actifs, ce qui permettrait aux banques d'en tirer un revenu. En rémunérant les réserves, la banque centrale réduit ou augmente ce coût d'opportunité, afin de stimuler le crédit ou de le limiter. Prenons le cas où la banque centrale souhaite stimuler le crédit. Dans ce cas, elle va rémunérer très faiblement les réserves, voire pas du tout, ce qui rend leur prêt plus rentable que leur dépôt à la banque centrale. Les banques vont alors chercher à prêter les réserves excédentaires pour en minimiser la quantité. Ce faisant, les réserves créées par la banque centrale ou les dépôts vont finir par circuler dans l'économie sous la forme de monnaie, favorisant l'investissement et la consommation. À l'inverse, la banque peut aussi rémunérer les réserves avec un intérêt assez élevé : les banques ne sont alors pas incitées à prêter leurs réserves, vu qu'il est plus rentable de les conserver à la banque centrale. Il arrive aussi que les banques ne fassent pas circuler leurs réserves excédentaires, même si elles ne sont pas rémunérées. Cela arrive quand l’économie va très mal. Dans ce cas, la banque centrale peut alors imposer des taux négatifs sur les réserves, afin d'inciter les banques à faire des crédits.
Les taux à court-terme
[modifier | modifier le wikicode]La banque centrale agit sur le marché interbancaire de deux façons : soit elle fixe la quantité de réserves qu'elle est prête à échanger, soit elle se fixe une cible pour le taux interbancaire. Si la quantité de réserves (la base monétaire) est fixée par la banque centrale, les taux à court-terme dépendent uniquement de la demande de réserves des banques. Plus les réserves se font rares, plus le taux interbancaire est fort (et réciproquement). Inversement, en fixant le taux d'intérêt, la banque centrale doit fatalement fournir autant de liquidités que les banques demandent à ce taux. De nos jours, les banques centrales fixent leurs taux d'intérêts, ce qui leur impose d'imprimer une certaine quantité de réserve.
En utilisant le graphe ci-dessus, on peut distinguer deux portions de la demande de réserve. Dans la première portion, la demande de réserves dépend du taux d'intérêt, la fonction étant décroissante. Dans la seconde, la quantité de réserve est fixe et peut varier sans la moindre influence des taux : elle ne dépend plus du taux directeur. Notons que la banque centrale peut passer d'un régime à l'autre, que ce soit en changeant ses taux directeurs ou en modifiant la quantité de réserves. Ces deux situations correspondent à deux régimes monétaires différents, dans le sens où la banque centrale implémente sa politique monétaire différemment selon la situation. Dans le premier cas, tous les taux directeurs sont utiles, mais le principal est le taux d'emprunt directeur. Dans la seconde situation, le taux principal est le taux de rémunération des réserves.
Le régime de corridor
[modifier | modifier le wikicode]Le premier cas est le régime normal de fonctionnement de la politique monétaire, où le système bancaire n'est pas saturé de réserves : certaines banques manquent de réserves et font appel à celles qui en ont trop. Dans ce cas, le taux d'intérêt à court-terme sur le marché interbancaire est encadré par les deux taux directeurs, le taux d'emprunt servant de plafond et le taux de rémunération des dépôts servant de plancher. En somme, la banque centrale contrôle le taux directeur en l'encadrant par les deux taux qu'elle contrôle. Le système est appelé un régime de Corridor, en référence à l'encadrement des taux monétaire par les taux directeurs.
Les raisons qui font que cet encadrement fonctionne sont les suivantes. Premièrement, le taux de rémunération des réserves ne peut pas être supérieur au taux directeur sur le marché interbancaire. Si c'était le cas, les banques gagneraient plus en plaçant leur argent à la banque centrale et n'aurait aucun besoin de les prêter sur le marché interbancaire. La fixation d'un taux de rémunération des réserves permet ainsi de garantir un taux directeur minimum. Deuxièmement, les banques commerciales n'ont aucun intérêt à emprunter à un taux supérieur à celui donné par la banque centrale (le taux de prêt marginal), ce qui fait que les banques préteuses aligneront leurs taux de manière à ce que celui-ci reste compétitif face au taux de prêt marginal.
Le régime plancher
[modifier | modifier le wikicode]Dans le second cas, les banques sont complètement saturées en réserves excédentaires et elles n'ont aucun besoin d'en acquérir en plus. En conséquence, elles n'empruntent plus à la banque centrale et il n'y a plus de prêts interbancaires. Cela se traduit par le fait que l'offre de réserves est dans la seconde portion de la courbe de demande de réserves, là où elle est plate. Le taux d'emprunt perd complètement sa pertinence et n'a plus d'influence sur le marché monétaire. Formellement, le taux du marché monétaire est strictement égal au taux de rémunération des dépôts. On est dans un régime qui porte le nom de Floor System, nom qui trahit le fait que le taux monétaire est à sa valeur plancher, sous-entendu au taux de rémunération des réserves.
Les taux à long-terme
[modifier | modifier le wikicode]L'influence de la banque centrale porte essentiellement sur les taux de prêt à courte maturité, qu'il s'agisse d'obligations ou d'autres formes d'actifs. Mais il se trouve que les taux des maturités plus longues sont vraisemblablement dépendants des taux courts, ou tout du moins des taux courts futurs anticipés. Un outil très intéressant pour étudier la relation entre taux longs et taux courts est la courbe des taux, qui donne les taux en fonction de la maturité de l'obligation. On peut alors tomber sur plusieurs cas.
- En général, les taux longs (des obligations de long-terme) sont plus importants que les taux courts. De plus, les taux longs augmentent avec la maturité : le taux d'une obligation à 2 ans est plus faible que celui d'une obligation à 5 ans, lui-même plus faible que celui d'une obligation à 10 ans, etc. Dans ce cas, on trouve une courbe croissante des taux en fonction de la maturité, qui est la courbe des taux croissante, la plus habituelle.
- Plus rarement, les taux courts sont plus élevés que les taux longs (au moins sur une partie de la courbe). La courbe des taux devient une courbe des taux inversés.
- Enfin, il est possible que tous les taux soient identiques, ce qui donne une courbe des taux plate.
Les théories des relations entre taux longs et courts
[modifier | modifier le wikicode]Aujourd'hui, il existe plusieurs théories pour expliquer les relations entre taux longs et courts. La théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes, que nous avons vu dans le début de ce livre, est l'une d'entre elle. Mais elle n'est pas la seule et il existe de nombreuses autres théories, à la fois concurrentes et complémentaires de la théorie de Keynes. Nous n'allons pas toutes les voir, mais aborder seulement les principales. Si nous ne reviendrons pas sur la théorie de la préférence pour la liquidité, nous allons parler de la théorie des anticipations de la structure des taux d'intérêts (la plus consensuelle) et quelques autres théories complémentaires.
La théorie des marchés obligataires segmentés
[modifier | modifier le wikicode]La première théorie, la plus simple de toute, dit que les épargnants ne s'occupent que de la maturité et pas du rendement, ce qui fait qu'il n'y a pas d'arbitrage entre les différentes maturités. Quelqu'un qui achète une obligation à 10 ans n’achèterait pas d'obligation à 5 ans à la place, pour diverses raisons. Par exemple, l'acheteur souhaite épargner pour payer une échéance future : pour sa retraite qui arrivera dans 10 ans, pour payer l'université de son fils dans 10 ans, etc. Les obligations ne sont pas substituables, et il existe un marché indépendant pour chaque maturité. Le taux d'une obligation dépend uniquement de la demande et de l'offre pour la maturité demandée, mais pas des taux des autres obligations à maturité plus courte ou plus longue.
On peut expliquer la forme normale de la courbe des taux en supposant que les épargnants préfèrent des obligations à plus court terme. Ils préfèrent prêter à court-terme et non à long-terme, parce qu'ils pensent que c'est moins risqué. En clair, cette explication combine la théorie de la préférence pour la liquidité avec la théorie précédente. Les autres courbes des taux possibles apparaissent dans diverses situations pathologiques, où le prêt à court-terme devient très risqué, mais que le prêt à plus long-terme ne l'est pas (par exemple, une crise de liquidité). Mais tout cela ne permet pas de rendre compte d'un phénomène : toutes les maturités tendent à varier dans le même sens. Quand les taux courts augmentent, les taux longs augmentent, et la théorie des marchés segmentés est mise en défaut par cette observation.
La théorie des anticipations de la structure des taux d'intérêts
[modifier | modifier le wikicode]La seconde théorie part du principe que les agents économiques n'ont pas de préférence quant aux maturités et ne se réoccupent que du rendement. Dans ce cas, les agents font un arbitrage entre des obligations à long-terme et une succession d'achats d'obligations de court-terme. Les épargnants sur de longues durées peuvent certes acheter des obligations de longue maturité, mais ils peuvent aussi renouveler des placements de court-terme une fois ceux-ci à l'échéance. À l'équilibre, une succession d'obligations courtes et une obligation longue donneront le même rendement.
On pourrait croire que les taux courts et longs sont identiques, mais il faut prendre en compte la variabilité des taux au fil des ans. Dans ce cas, tout agent va anticiper les taux pour chaque année future. L'arbitrage dépend alors des taux courts futurs, anticipés par les agents économiques. La relation entre taux longs et courts dépend donc des anticipations des variations des taux. Dans ce qui suit, on suppose que l'année de début de maturité est l'année 0 et que les obligations sont renouvelées chaque année. L'agent va naturellement anticiper les taux pour l'année 1, l'année 2, etc. Ils prédiront donc des taux , , etc. La rémunération d'un renouvellement d’obligations courtes est donc de :
- , avec la "moyenne" des taux courts.
Si les agents économiques pensent que les taux courts vont augmenter ou rester stables, les taux longs dépendront essentiellement des taux courts actuels. On pourrait croire que les deux sont équivalents, si bien que le taux annuel devrait être identique dans les deux cas. Mais c'est oublier qu'un placement unique à long-terme est plus risqué : l'émetteur peut parfaitement faire défaut, l'inflation peut dépasser les valeurs anticipées, etc. Une succession de placements de court-terme n'a pas ces problèmes, les taux et opportunités étant remises à jour à chaque nouvel investissement. Dans ces conditions, ce risque supplémentaire doit être compensé par une rémunération supérieure, une prime de risque, faute de quoi les agents n’achèteraient pas d'obligations à long-terme. Ainsi, les taux longs sont légèrement supérieurs au taux équivalent à une succession de taux courts de durée équivalente. Une variation des taux courts doit donc se propager aux taux longs.
Par contre, si les agents anticipent une baisse des taux, les taux longs peuvent devenir inférieurs aux taux courts. Cela arrive quand les agents anticipent une baisse des taux directeurs de la banque centrale. Les taux courts ne changent pas tant que la banque centrale ne réagit pas. Par contre, les taux longs baissent avec les taux courts anticipés (voir la section précédente). Pour résumer, les taux longs baissent, les taux courts se maintiennent tant que la récession ne s’est pas concrétisée.
La théorie de l'habitat préféré
[modifier | modifier le wikicode]Les deux théories précédentes sont incompatibles : pas d'arbitrage d'un côté, arbitrage total de l'autre. La première théorie dit que les épargnants se préoccupent uniquement de la maturité, mais pas du rendement, alors que la seconde théorie dit l'inverse. Mais dans les faits, les épargnants prennent sans doute en compte à la fois les rendements et la maturité. Des arbitrages sont possibles, mais pas des arbitrages basés uniquement sur le rendement. Certains épargnants peuvent faire des arbitrages, en fonction de leur appétit pour le risque, mais les maturités rentrent en compte dans les décisions d'arbitrage.
Pour un niveau de risque et une rémunération égale, une obligation à taux court sera donc un substitut parfait pour une obligation longue. Les taux des obligations longues et courtes sont donc semblables, si ce n'est que les obligations longues subissent un risque d'inflation et de taux : il se peut que les taux ou l'inflation anticipée divergent des prédictions. Ce risque n'existe pas avec un renouvellement d'obligations de court-terme. En résumé, les épargnants éviteront d'acheter une obligation longue si une succession d'obligations courtes donne le même rendement, et ne l’achèteront que si celle-ci donne une prime pour compenser le risque. Pour compenser ce risque, les agents vont demander une rémunération supérieure aux obligations de long-terme. La prime de risque permet de rendre compte de la courbe des taux normale croissante. Plus un investissement a une durée longue, plus il est risqué et plus la prime de risque est grande.
Pour résumer cette théorie, il existe une relation entre les taux courts et les taux longs, les deux ayant tendance à évoluer dans le même sens (ils montent ensemble et descendent ensemble). Les taux longs sont vus comme la somme de deux termes : d'un côté la moyenne des taux courts futurs, de l'autre une prime de risque croissante avec la durée du placement. On peut résumer cela avec une équation de la forme :
- , avec la prime de risque et la moyenne anticipée des taux courts.
On peut approximer le tout avec cette formule :
- , avec la prime de risque et la moyenne anticipée des taux courts.
Précisons que la prime de risque compense plusieurs risques différents, comme l'inflation, le non-remboursement d'une obligation, ou sa faible liquidité. On peut schématiquement décomposer la prime de risque en une prime égale à l'inflation anticipée, une prime qui dépend de la probabilité de non-remboursement, et d'une prime de liquidité.
- , avec la probabilité de non-remboursement et la compensation pour une éventuelle non-liquidité.
La manipulation des taux longs par la banque centrale
[modifier | modifier le wikicode]En temps normal, la banque centrale influence les taux longs par son action directe sur les taux courts. Elle baisse son taux directeur, qui entraînent avec eux les taux longs. Cette politique est ce que l'on appelle la politique monétaire conventionnelle. Néanmoins, il se peut que cela ne suffise pas pour maintenir une inflation suffisante. Lorsque cela arrive, la banque centrale peut tenter de faire baisser les taux longs autrement qu'en faisant baisser les taux courts. On dit qu'elle utilise une politique monétaire non-conventionnelle. Pour cela, la banque centrale dispose de deux outils : l'assouplissement quantitatif et la forward guidance.
La politique monétaire non-conventionnelle
[modifier | modifier le wikicode]La première solution est appelée la forward guidance. Celle-ci consiste à manipuler les anticipations des taux futurs par une stratégie de communication adaptée. La banque centrale s'engage à garder les taux bas durant une longue période de temps (plusieurs années). Les agents ne s'attendent donc pas à une remontée des taux futurs, et savent que les taux courts resteront longtemps bas. Si on reprend la théorie des anticipations de la structure des taux, on remarque que cela se traduit par des taux longs plus bas. Le but de cette méthode est de faire baisser le terme dans la formule . Ainsi, les anticipations des taux futurs seront basses, modifiant la courbe des taux en faisant mécaniquement baisser les taux longs.
L'autre solution porte le nom d'assouplissement quantitatif. Le but de cette méthode est de faire baisser la prime de risque, le terme dans la formule . En l'absence de Q.E, la banque centrale se contente de moduler le taux sans risque sans modifier la prime de risque. Par contre, avec le Q.E, la banque centrale écrase cette prime de risque pour faire baisser les taux longs et stimuler l’économie. Les épargnants sont alors incités à investir dans des actifs plus risqués, ce qui stimule l’économie par divers mécanismes. Les spécialistes appellent cela le "canal de la prise de risque" (risk taking channel).
Pour ce faire, la banque centrale va créer de la monnaie et l'échanger contre des actifs de long-terme, généralement des obligations d'état. Ces achats d'obligations vont en faire monter le prix, ce qui en fera diminuer les taux d'intérêt. Rappelons que le prix des obligations est relié en sens inverse à leur taux d'intérêt : le taux diminue quand le prix augmente et vice-versa. Quand la banque centrale achète des obligations, la demande d'obligations va augmenter, faisant monter leur prix et baisser leur taux. Inversement, une vente massive d'obligations va les rendre moins rares, faisant baisser leur prix et monter leur taux. Ainsi, l'assouplissement quantitatif vise à contrôler les taux d'intérêt sur la dette d'état de long-terme.
Sans assouplissement quantitatif, la banque centrale ne fait que des échanges avec de la dette de court-terme, ce qui modifie les taux d'intérêt à court-terme. Avec assouplissement quantitatif, la banque centrale doit acheter des titres de moyen ou long-terme qu'elle n'achetait pas auparavant. Elle peut se mettre à acheter des obligations d'état à maturité importante (long-terme), des obligations d'entreprises, des produits basés sur des crédits aux ménages, voire des actions ou des titres immobiliers. Généralement, la banque centrale achète des obligations d'état dont la durée/maturité est importante, mais guère plus. Dit autrement, la banque centrale modifie la courbe des taux, en faisant baisser les taux longs uniquement, sans toucher aux taux bas (qui sont à zéro). On comprend pourquoi cette politique est utilisée quand les taux directeurs sont déjà à zéro.
Si l'effet sur les taux réels a une influence macroéconomique (du moins le pense-t-on), il a aussi des effets problématiques. La prime de risque ne reflète plus le risque des investissements, ce qui perturbe la perception du risque par les marchés. Cela peut mener à la formation de bulles ou à des comportements d’investissements plus risqués que prévu. Par exemple, cela incite les agents prudents à investir dans des actifs risqués comme les actions ou immobilier, alors qu’ils auraient investis en obligations d’état sans Q.E. Cela entraîne une surévaluation du prix de certains actifs, qui disparaîtra une fois le Q.E retiré. Ou encore, cela incite à prendre du levier en excès, ce qui est rarement une bonne idée… Pire : cela peut pousser les banques à faire n’importe quoi pour chercher du rendement, leurs marges étant fortement compressées par la baisse de la prime de risque. Les risques vont d’une surévaluation de la plupart des actifs risqués à des trucs plus graves, comme des crises bancaires causés par une mauvaise perception du risque (à la 2008). À noter que ces effets n’ont pas lieu avec une variation du taux sans risques, qui est la politique monétaire en temps normal.
En théorie, l'assouplissement quantitatif est censé créer de l'inflation. Cependant, les expériences de des banques centrales américaine et européennes lors de la crise de 2008 montrent que ce n'est pas forcément le cas. Si ces politiques ont aidé à augmenter le prix des actifs achetés par la banque centrale, tout en diminuant leurs taux d'intérêts, les effets macroéconomiques sont beaucoup plus faibles, pour ne pas dire inexistants.
Aux États-Unis, la baisse sur les taux de long-terme a été assez importante, de près d'un pour cent, mais les banques n'ont cependant pas décidé d’augmenter le volume de leurs prêts, pour des raisons assez techniques et encore mal comprises. La même chose a été observée lors de la crise japonaise de 1990, les politiques d'assouplissement quantitatif ayant fortement augmenté le bilan de la banque centrale. Pourtant, force est de constater que l'augmentation de la base monétaire a été très importante dans tous les cas étudiés, allant jusqu’à la tripler ou la quadrupler. Les études sur le QE sont assez contrastées, certaines disant qu'il n'a pas eu d'effet vraiment significatif sur l'économie, tandis que d'autres lui attribuent l'origine de plusieurs pourcents de croissance.
Précisons que les obligations achetées par la banque centrale ne sont pas détruites, mais belles et bien conservées par la banque centrale. L'état doit toujours rembourser sa dette, intérêts compris. Seul le destinataire de la dette change : investisseurs privés sans QE, banque centrale avec. Il y a cependant une petite subtilité quant au cout de la dette. Si l'état doit bel et bien rembourser les intérêts, ceux-ci sont considérés comme un profit par la banque centrale, profit qui est redistribué à ses actionnaires, donc à l'état. En clair, les intérêts sont payés par l'état, mais la banque centrale les renvoie en tout ou partie. Mais cette nuance n'a aucune application pratique, car le QE est utilisé quand les taux d'intérêts sont à zéro, ce qui fait que le gain pour l'état sur sa dette est nul. Le QE ne monétise donc pas la dette d'état. Après, on peut imaginer une situation improbable où la banque centrale décide de faire fi de son mandat e d'alléger la charge des intérêts de la dette. Mais dans ce cas, elle a plutôt intérêt à faire baisser ses taux directeurs à zéro que d'utiliser le QE : l'économie en intérêt sera la même et la mesure sera bien plus efficace.
Les différences entre politique conventionnelle, forward guidance et assouplissement quantitatif
[modifier | modifier le wikicode]Avec ce qu'on vient de dire, il est intéressant de mettre en avant les différences entre types de politiques monétaires conventionnelle/non-conventionnelle. Pour comprendre la différence entre les deux, il faut regarder ce qui se passe pour la courbe des taux. La politique monétaire conventionnelle déplace la courbe des taux, mais ne modifie pas sa forme. Une baisse des taux directeurs entraîne eux les taux longs, ce qui fait que courbe des taux descend, sur le graphique intérêt-maturité. En théorie, la baisse est identique sur toute la courbe des taux, avec la même intensité partout. En pratique, il se peut que les taux bas baissent plus vite que les taux longs, si la transmission n'est pas optimale, mais ce cas est cependant plus pathologique qu'usuel.
Avec la politique monétaire non-conventionnelle, la courbe des taux s’aplatit. Seuls les taux longs baissent, les taux courts restant identiques. Précisons qu'entre forward guidance et assouplissement quantitatif, le mécanisme d’aplatissement de la courbe des taux est différent. L'assouplissement quantitatif réduit la prime de risque, alors que le forward guidance réduit les taux courts anticipés. Les deux canaux décrits dans les théories précédentes sont utilisés : demande pour une maturité précise pour l'assouplissement quantitatif, taux courts anticipés pour le forward guidance.